Grand-pa c'était le roi des poches. Il en avait pour tout: les bouts de ficelle, les graines, son briquet, son couteau, ses bières, son tabac...Le tissu tout élimé de sa veste disparaissait sous l'épaisseur de celles qu"il cousait lui-même avec la toile de sacs à haricots. Elles étaient en permanence gonflées de tout un tas de trucs sauf celle qu'il réservait à l'argent. Celle-là je l'ai toujours connue plate comme une feuille de papier à cigarette. En quatre-vingts ans de vie, Grand-pa n'a jamais trouvé de quoi la faire grossir.
- Regarde Adriana, disait Grand-pa en soufflant la fumée de sa cigarette, c'est le coeur de la richesse qui bat là-bas, au pays des ranjeros. Les toits de leurs maisons sont en or et leurs rues sont pavées d'argent... On raconte que, chez eux, les hommes gagnent en un jour ce que personne ne gagne ici en une vie... Et leurs femmes se baignent dans des rivières de parfums.
Dressé sur son perchoir, Miss Perfumado n'a rien dit. J'ai ouvert la porte de sa cage. Il a hoché la tête et d'un minuscule bond, s'est agrippé au rebord.
- Et toi, tu seras où ?
Miss s'est envolé dans la nuit, droit vers les énormes projecteurs avec lesquels les militaires pourchassaient les clandestins. Je ne pouvais pas passer le Cerco sans donner sa chance à l'oiseau qui m'avait protégée depuis des mois.