J'aimerais être une statue en bronze ou un homme de marbre, insensible aux douleurs de ceux que je rencontre.
L'autostop enseigne la patience et il est surprenant qu'une activité si vertueuse soit dédaignée par l'Éducation Nationale....Encadrés par leurs professeurs au collège..puis livrés à eux-mêmes au lycée...les élèves apprendraient au bord de la route la géographie, la philosophie..et un nombre de langues incalculable.
L'autostoppeur sous la pluie ressemble à un cachet d'aspirine dans un verre d'eau, il se dissout peu à peu et plus personne ne le voit.
Quitter les grandes villes cernées de périphs et de rocades est une épreuve plus difficile aujourd'hui qu'auparavant.
Sur la route, les liens sont éphémères. Une rencontre peut parfois se prolonger au comptoir d'un café, à la terrasse d'une gargote ou dans une chambre d'amis, puis la route reprend et sépare..Les relations sont intenses et brèves. Intenses car brèves, elles n'ont pas le temps de subir la routine qui affecte nos liens les plus ordinaires.
Lever le pouce n'est pas un geste habituel..le mien manque encore d'entraînement..le dresser vers le ciel sera bientôt un mouvement aussi naturel qu'un coup droit gagnant pour Rafael Nadal. Pendant qu'il additionne victoires et trophées, j'additionnerai kilomètres et rencontres.
Les gens heureux existent..il est donc normal d'en trouver quelques uns sur les routes. Mais le bonheur étant un concept aussi arithmétique qu'un bilan comptable, je crains l'humeur du prochain conducteur qui rétablira l'équilibre...et ça ne rate pas.
Seul le diable s'arrête quand je fais de l'auto-stop sur la route du paradis.
Mais si tous les chauffeurs sont aussi taiseux que Jean-François, je n'apprendrai rien des autres...sinon que depuis 25 ans, nos vies se sont bétonnées autant que nos villes.
Je slalome entre les tombes pour installer mon bivouac. Près de l'une d'elles je lis l'inscription : Sous cette croix en pierre repose un soldat allemand inconnu mort en 1917 sur une terre qui n'était pas la sienne. J'hésite à sortir la canette de Cédric dans un tel endroit, mais la bière est allemande. Une Karlsberg. Alors je l'ouvre sans scrupule pour boire à la réconciliation franco-allemande.