29 mai 1968, 7 heures.
Le général de Gaulle a disparu.
Personne encore ne le sait. Pas même lui.
A cette heure, il se recueille dans la petite chapelle de l'Elysée, au rez-de-chaussée de l'aile est. Le Général est seul. Il se tient à sa place habituelle agenouillé sur un prie-dieu. Il est immobile, la tête inclinée. Sa silhouette de pénitent se découpe sur le vitrage bleuté de la fenêtre en ogive. Le motif est parfaitement centré, le contour net et fidèle. Il n'y aurait rien à redire à la composition édifiante qui nous est proposée : un Charles de Gaulle en saint Sauveur. Rien à redire, si ce n'était le nez qui offusque la légèreté du trait, mais surtout cette haute carcasse qui s'entête à ne pas respecter les proportions du lieu. Il y a là un conflit de représentations. La masse du Général emplit la chapelle comme un fruit prisonnier de sa bouteille. Elle l'engonce aux épaule, se bute le haut du crâne à la voûte et finit de guerre lasse par dévorer tout l'espace. Si bien que, dans ce petit jour, qui peine à devenir, le général de Gaulle ressemble à un vitrail cannibale.