t'écouter
c'est suivre les mouvements que tu traces
sur la peau du monde
comme une fenêtre couverte de buée
c'est regarder un dessin jusqu'à ce qu'apparaisse
dans l'entremêlement de tes traits
la silhouette que tu voudrais me faire rencontrer
t'écouter c'est croire autant à tes trajectoires
qu'à tes hésitations
autant à tes chutes qu'à tes courants d'air
Mais pourquoi aime-t-on tant
aimer
alors que c'est si fucking compliqué
« Est-ce que grandir c’est cesser de vouloir donner à ses phrases
L’éclat aigu d’une lame
Accepter qu’elles soient élimées
Et empiler des mots qui tâtonnent
Pour former un oreiller »
on s'échine à vouloir se parler
on s'épuise à vouloir se comprendre
et on se berce à croire
qu'un jour on s'entendra
on se dis qu'il suffit peut être de crier plus fort
de parler avec des mots plus grands
des mots en majuscules
qu'il suffit d'articuler
de s'articuler
de fendre l'air et de bousculer
mais ce n'est pas de plus de bruit dont nous avons besoin
ce n'est pas de crier plus fort que le brouhaha
de charger l'air de notre voix et de nos mouvement électriques
pour couvrir le vacarme de notre affolement
c'est plutôt de prêter attention
à ce qui se dit en chuchotant
à ce qui se danse en frémissant
et d'ouvrir nos oreilles
aux craintes qui se taisent à l'intérieur
aux existences qui se déploient en hésitant
qu'essaie-t-on de combler
quel vide dans nos ventres
veut-on absolument remplir
en recouvrant ainsi le silence
de notre cacophonie
de gestes et de paroles
J'aime chez toi
ce qui m'échappera toujours
Voilà ce qu'il reste de moi
on se dit
voilà ce que je te laisse voir
de mes doutes
quand j'ai ôté mon maquillage
ma cravate ma culture mes talons
mon humour mon corset mon sourire
voilà ce qu'il reste de moi
d'incontrôlé
de fragile
de mal aimé et
peut-être même de honteux
voilà ce qu'il reste de moi
à apprivoiser
la voilà ma véritable nudité
veux-tu toujours bien t'enamourer
mais y aura-t-il jamais une phrase
capable de dire une fraction
de l'émotion qu'il y a
à croiser ton regard
à te serrer contre moi
une seule rime
capable d'évoquer ce que ça remue en moi
tes yeux dans les miens
ta joue contre la mienne
ta main dans mon dos
ta main
sur ma peau
ma voix
n'a pas le timbre feutré que j'espérais
ni l'agilité rhétorique dont je rêvais
elle est pleine de déséquilibres et d'échappées
qu'il me faut apprivoiser
mais elle est à moi
voilà ce que j'ai compris
et si j'apprends à l'aimer
peut-être que d'autres le pourront
peut-être que toi aussi tu sauras
l'aimer
on ne se dit jamais comment on se perçoit
comme si c'était tabou
on compte pourtant tellement
sur notre reflet dans les yeux de l'autre
pour s'assurer de notre existence
mais on ne veut pas savoir la forme qu'on y prend
on ne veut pas entendre notre propre voix
ni regarder notre image à l'endroit
on ne veut pas connaître cette réalité mal-éclairée
on n'aime
que les miroirs
dans lesquels on se voit
déformés
et ton regard m’implore
de ne s’il te plaît rien briser.