La part d'ange en nous

comme ils étaient dans les champs,, Cain se jeta sur son frère Abel et le tua. Avec une population mondiale quatre habitants au total, cela fait un taux d'homicide de 25%, c'est-à-dire mille fois plus élevé que dans les pays occidentaux de nos jours.

Un autre changement majeur dont nous avons fait l'expérience est l'intolérance croissante au recours à la force dans la vie de tous les jours. Il y a quelques dizaines d'années encore, l'empressement d'un homme à utiliser ses poings en réponse à une insulte était un gage de respectabilité. Aujourd'hui, un tel comportement trahit un rustre et témoigne d'une impulsivité mal contrôlée, pour laquelle une thérapie de gestion de la colère semble indiquée.

Pour se faire une idée juste de l'évolution de la violence dans le monde, il est donc indispensable, d'une part d'envisager l'évolution de la violence sur de longues périodes de temps et, d'autre part, de ne pas prendre en compte uniquement les événements ou conflits qui frappent le plus notre conscience, mais d'analyser le plus grand nombre possible de données.

Aucun aspect de l'existence n'échappe à ce repli de la violence. La vie quotidienne est très différente lorsqu'à tout instant, on doit craindre d'être enlevé, violé ou tué, et il est difficile d'obtenir un haut degré de développement des arts, de l'éducation ou du commerce lorsque les institutions qui les soutiennent sont pillées et brûlées presque aussitôt après avoir été fondées.

Après tout, la devise d'un criminel n'est pas vraiment« Toujours fidèle», «Un pour tous, tous pour un», «Devoir, honneur, patrie», « Banzaï » ou «Souvenez-vous de Pearl Harbor·· », mais« Prends l'oseille et tire-toi». Et c'est vrai que pour un criminel, il est profondément absurde de mourir au combat (ou lors du braquage d'une banque); il est parfaitement irrationnel de mourir pour le frisson que procure la violence, et encore plus irrationnel de mourir pour s'approprier un butin de guerre, car enfin, on ne peut emporter ni l'un ni l'autre avec soi.

À mesure que des enfants de plus en plus nombreux ont accès à l'éducation et développent au mieux leur intelligence et leurs connaissances, les citoyens du monde s'accordent sur la nécessité de vivre en paix. On a constaté que les facultés de raisonnement, le degré d'intelligence et le niveau d'équilibre émotionnel des enfants de dix ans présageaient leur acceptation ultérieure des points de vue démocratiques, pacifistes, antiracistes et égalitaires vis-à-vis des femmes.

L'idéal de paix toucha pour la première fois un large public grâce à deux best-sellers. En 1889, la romancière autrichienne Bertha von Suttner publia Die Waffen nieder! (Bas les armes!), récit fictif à la première personne des horreurs de la guerre. Et en 1909, le journaliste britannique Norman Angell publia un pamphlet intitulé Europe's Optical Illusion, qu'il développa ultérieurement sous le titre The Great Illusion (La Grande Illusion), dans lequel il s'attachait à démontrer l'absurdité économique de la guerre.

Luard appelle le premier âge, qui s'étendit de 1400 à 1559, l'Âge des dynasties. À cette époque, les «maisons» royales, ou coalitions étendues s'appuyant sur des liens de parenté, rivalisaient pour le contrôle des territoires européens. Un petit détour par la biologie nous montre pourquoi l'idée de fonder la transmission du pouvoir sur l'hérédité est la recette parfaite pour des guerres de succession sans fin.

Richardson évalua par ailleurs la proportion de morts causées par des
conflits létaux de tout ordre de grandeur, des meurtres aux guerres mondiales. Il aboutit à un résultat de 1,6%. Il relève à ce sujet: «C'est moins que ce à quoi on aurait pu s'attendre compte tenu de l'attention considérable que reçoivent les conflits. Ceux qui adorent la guerre pourront s'excuser de cette prédilection en soulignant qu'après tout, les guerres sont beaucoup moins meurtrières que les maladies. » Encore une fois, ce constat reste largement vrai de nos jours.

Vous avez entre les mains un gros livre, mais il ne saurait en être autrement. Je dois d'abord vous convaincre que la violence a véritablement baissé au cours de l'histoire, en sachant pertinemment que cette simple idée suffit souvent à susciter le scepticisme, l'incrédulité et parfois même la colère. Nos facultés cognitives nous prédisposent à croire que nous vivons une époque violente, particulièrement quand elles y sont exhortées par des médias dont le mot d'ordre est «Plus ça saigne, plus c'est porteur».