Du haut de ses seize ans, elle avait tenu bon, arguant que si elle le devait, elle recommencerait. Son entêtement avait amusé Charles qui était venu lui dire qu’il admirait les gens qui affirmaient haut et fort leurs convictions. Il lui avait aussi promis que quand elle serait assez âgée pour cela, il lui ferait la cour. Promesse qu’il avait tenue quelques mois plus tard. Charles était alors le parti le plus convoité d’Angleterre.
Chroniquement imbue d’elle-même, cette femme brune au tempérament capricieux affichait une éternelle mine faussement enjouée qui cachait en réalité un caractère belliqueux, entêté et égoïste. La sœur de feu Lord Ashford ne s’intéressait aux autres que pour ce qu’ils pouvaient lui apporter.
Ce qu’elle voyait dans le miroir lui était étranger ; son regard d’ordinaire si pétillant s’était éteint. Ses grands yeux dorés avaient pris une teinte brun terne, sa peau claire tournait au gris, ses pommettes devenaient exagérément saillantes. Incontestablement, elle avait perdu du poids.
La culpabilité ne la quittait plus. Elle s’en voulait de tout et pour tout. Pour ce qu’elle faisait comme pour ce qu’elle ne faisait pas. Charles aurait détesté la voir agir ainsi, c’était indigne d’elle, de son nom, de son rang. Et cette nausée qui refusait de la laisser en paix, qui lui rappelait sans cesse son dégoût d’elle-même – parce que injustement, elle était toujours là. Parce qu’elle était coupable, oui, coupable d’avoir survécu hier, et coupable de refuser de vivre aujourd’hui. De la même façon, et même si c’était insignifiant au regard de tout le reste, elle se sentait coupable de ne pas rendre hommage à ce croissant qui avait dû donner bien du fil à retordre à cette pauvre Mrs Alder.