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Citations sur Là d’où je viens a disparu (24)

J'ai vingt-cinq ans, je suis mère, célibataire, et clandestine. Ce n'est pas exactement comme ça que je rêvais mon existence. Ca fait maintenant sept ans que j'habite ici, je me suis habituée au mode de vie qu'entraîne mon statut, statut de rien, grand vide à l'estomac, statut provisoire, qui grave pourtant dans un marbre dont je sais qu'il ne recouvrira jamais le sol de ma salle de bains ses caractéristiques précaires: raser les murs, baisser le regard, ne pas attirer l'attention, ne relâcher que rarement, et inconsciemment, la pression, sursauter quand j'entends une sirène, être docile et obstinée au travail, prier pour ne jamais subir un contrôle de routine sur une autoroute ou en ville, traquer le compteur, traquer mon pied droit, traquer la pression qu'il exerce sur la pédale d'accélérateur, être maladivement prudente, ne pas savoir quelle mine prendre quand je croise une patrouille, un flic sur le bord de la route ou dans un mall, sourire ou ne pas sourire, me trahir quoi que je fasse, y penser constamment dès que je sors, comprendre que je ne peux plus paraître neutre, que je suis du coté des coupables, des criminelles, me dire que ça se voit, que c'est évident, qu'on ne remarque que ça, que mon visage me dénonce, que ma couleur de peau m'expose, que mon corps me précipite dans la gueule du loup, que ma langue, mon accent ma perdront, ne faire jamais aucune réclamation à aucun sujet, garder mes colères, mes désaccords, mes indignations pour mes heures d'insomnies, tout ça gentiment ravalé, accomplir ma tâche avec rigueur et professionnalisme, ne pas parler, ne pas discuter, ne pas contredire ou nier, faire comme si tout était normal et naturel dans ce monde, dans cette société, dans ce paysage, faire comme les autres, en étant toutefois transparente, s'effacer pour exister, pour durer, pour tenir.
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Je ne suis pas votre servante, aucune corvée ne m'est dévolue sous prétexte que je suis une femme, je suis votre mère, c'est une chose, mais ça n'a rien à voir avec la manière dont vous devez vous figurer les femmes. Luis a toujours trouvé ça moyennement arrangeant. Les autres enfants à l'école semblaient avoir moins de fil à retordre avec les tâches domestiques, ne se souciant guère de la personne qui les exécutait puisque c'était leur mère et qu'eux n'entraient pas dans la confidence d'une lessive ou d'une cuisson. Luis et son frère, eux connaissaient une somme de choses barbantes qu'il leur revenait d'accomplir à tour de rôle. Il a soudainement compris le ses du partage.
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Luis ne parle jamais de son frère. Il n'a presque pas réagi quand je lui ai fait lire la lettre envoyée des États-Unis, il s'est contenté d'un tant mieux pour lui, il est allé chercher le briquet, l'a posé sur la table sans un regard puis il est sorti voir un match.
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tout le monde me prend pour une mère courage ici; Je suis l'âme du quartier. C'est moi qu'on appelle quand il faut négocier une baisse du droit de passage avec les maras, quand il faut leur demander de réduire la cotisation pour jeter ses ordures, reporter une rente, ou quand il faut aller nettoyer le bitume parce que ça a mal tourné entre les gamins. Les voisins pensent que je suis respectable. ils se disent que mon autorité prouve ma moralité. ça me fait doucement rire
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On croit qu'on sauvera ses enfants, la vérité c'est qu'on ne peut rien. Ils s'envolent aux bourrasques de vent, les enfants, même les plus légères, les plus insignifiantes, celles qu'on n'a pas vues se lever, celles qu'on a trouvé apaisantes sans pressentir le danger qu'elles portaient ; ils glissent sur les sols détrempés par la pluie, les enfants, ils se brisent les os dans la chute, ils se jettent des toits, accrochent des nœuds coulants à leur cou, s'ébattent dans l'eau qui les emporte, ils s'élancent dans leur vie comme on se laisse tomber sur un lit, ils gardent le sourire alors qu'on les dévaste, ils vous font confiance, ils vous croient - croient qu'avec vous ils ne risquent rien. Et voilà qu'ils gisent dans vos bras. Ce n'est pas l'amour qui sauve, Angie. L'amour ne sauve rien.
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Quand Eva et lui ont su le sexe du bébé,il explique avoir été soulagé, pensant qu'il serait incapable d'élever un garçon pour en faire un homme...

Ce soulagement n'a pas duré. Il s'est mis à lister l'ensemble des périls que courait sa fille en naissant ici, et au fond n'importe où, prenant brusquement conscience de tout ce qui menace une femme au fil de sa vie.
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La vie est implacable, elle n'appelle aucune consolation, aucune justice, aucune revanche. c'est comme ça.
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J'ai pris des trains des bus et ce soir je vais marcher. On m'a donné un sac à dos. Une couverture, de l'eau, à manger. Toujours les mêmes dons. J'attends la nuit. Je ne regarde personne. Je ne parle plus. Les mots restent coincés. Trois kilomètres, ce n'est rien. Fatigue. Fatigue.
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J'ai vingt-cinq ans, je suis mère, célibataire - et clandestine. Ce n'est pas exactement comme ça que je rêvais mon existence. Cela fait maintenant sept ans que j'habite ici, je me suis habituée au mode de vie qu'entraîne mon statut, statut de rien, grand vide à l'estomac, statut provisoire, qui grave pourtant dans un marbre dont je sais qu'il ne recouvrira jamais le sol de ma salle de bains ses caractéristiques précaires : raser les murs, baisser le regard, ne pas attirer l'attention, ne relâcher que rarement, et inconsciemment, la pression, sursauter quand j'entends une sirène, être docile et obstinée au travail, prier pour ne jamais subir un contrôle de routine sur une autoroute ou en ville, traquer le compteur, traquer mon pied droit, traquer la pression qu'il exerce sur la pédale d'accélérateur, être maladivement prudente, ne pas savoir quelle mine prendre quand je croise une patrouille, un flic sur le bord de la route ou dans un mall, sourire ou ne pas sourire, me trahir quoi que je fasse, y penser constamment dès que je sors, comprendre que je ne peux plus paraître neutre, que je suis du côté des coupables, des criminelles, me dire que ça se voit, que c'est évident, qu'on ne remarque que ça, que mon visage me dénonce, que la couleur de ma peau m'expose, que mon corps me précipite dans la gueule du loup, que ma langue, mon accent me perdront, ne faire jamais aucune réclamation à aucun sujet, garder mes colère, mes désaccords, mes indignations pour mes heures d'insomnies, tout ça gentiment ravalé, accomplir ma tâche avec rigueur et professionnalisme, ne pas parler, ne pas discuter, ne pas contredire ou nier, faire comme si tout était normal et naturel dans ce monde, dans cette société, dans ce paysage, faire comme les autres, en étant toutefois transparente - s'effacer pour exister, pour durer, pour tenir. (pp.22-23)
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J'ai essayé de parler avec lui, de comprendre. J'ai essayé de débattre, de lui dire qu'il voit les choses de manière partiale, qu'il ne se fie pas aux bons chiffres, qu'il est manipulé par des mensonges, j'ai essayé de lui dire tout ça, ça n'a servi qu'à l'éloigner encore plus.
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