1870. Mattie Ross a quatorze ans lorsque Tom Chaney tue son père sans autre déclencheur que l'alcool qui lui embrume le cerveau. Devant le manque de zèle du shérif local, Mattie convainc le vieux Marshall Cogburn et le ranger Laboeuf de l'emmener à la poursuite de Chaney qui a déjà rejoint une bande de hors-la-loi en territoire indien.
"Les gens ne croient pas qu'une fille de quatorze ans puisse quitter sa maison pour aller venger la mort de son père en plein hiver", annonce très justement Mattie, la narratrice de ce roman de 200 pages. Les gens n'ont pas gobé non plus qu'un type joue de l'harmonica avant de flinguer les bandits qui ont exterminé sa famille, ou qu'un aventurier passe son temps à organiser le rêve de son enfance : voir Jack Beauregard affronter seul la horde sauvage. Ça ne les a pas empêché d'aimer Il était une fois dans l'Ouest ou Mon Nom est Personne.
Mattie n'a donc pas de soucis à se faire : la crédibilité de sa situation n'est pas constitutive de notre plaisir.
True Grit rassemble tous les arguments d'un bon western : un shérif borgne un peu poivrot, un Indien un peu sorcier, un Chinois un peu épicier, un jeune premier un peu prétentieux, des bandits vraiment bêtes et méchants, des colts, des crotales, du whisky à gogo, des feux de camp et des répliques qui font mouche.
D'une écriture percutante et agréable, le second degré toujours à la hanche,
Charles Portis essaime son action de dialogues saisissants, telles les répliques du procès qui oppose Cogburn à un avocat de la défense ou celles de la chasse aux rats dans la maison de l'épicier chinois. On comprend que les personnages peints au couteau de Portis aient intéressé les frères Coen et on chevauche cette épopée avec le même plaisir qu'on a suivi le film.
En effet, publié en 1968, ce roman a été adapté deux fois au cinéma. La première version, Cent Dollars pour un Shérif, voyait un John Wayne vieillissant incarner Rooster Cogburn. La seconde mouture des frères Coen, de 2010, confiait le rôle du Texas Ranger à Matt Damon et celui du vieux marshall borgne au brillant Jeff Bridges. C'est la trombine carrément efficace de ce dernier qui est en couverture de la réédition 2011 des éditions du Serpent à Plumes.
J'ai noté que cette traduction française du roman est créditée à "
John Doucette". C'est le clin d'oeil probable d'un traducteur à Cent dollars pour un shérif et à l'univers du western, puisque
John Doucette était le nom d'un acteur américain qui jouait dans la version
True Grit de 1968 ainsi que dans les classiques que sont par exemple Winchester 73, La Flèche Brisée ou le Train Sifflera Trois Fois. Ceci nous ramène au temps où les cinémas étaient encore des salles de quartiers avec des ouvreuses qui vous guidaient de leur lampe de poche puis revenaient à l'entracte avec un panier d'esquimauds-bonbons-chocolats-glacés. Il y a des choses, comme l'industrie du cinéma, qui ne se bonifient pas avec le temps...
Qu'il s'agisse de 1968 ou de 2010,
True Grit est quant à lui intemporel en cela qu'il reste un excellent roman-western qui se lit avec beaucoup de plaisir. Même si comme moi vous découvrez ce genre littéraire, vous ne manquerez pas de voir la poussière se soulever au loin, annonçant l'arrivée de quatre cavaliers aux manteaux longs et aux intentions douteuses. Posez bien vos pieds sur la table basse et enfoncez vous dans votre fauteuil, ça va commencer...