Ce livre n'est pas la biographie d'une femme ayant existé, mais aurait pu l'être : en 2014, l'autrice découvrait l'existence de la dernière goûteuse d'Hitler en vie, Margot Wölk, mais celle-ci décéda avant leur rencontre; elle a donc imaginé sa vie, tentant de se mettre à sa place en donnant son prénom à son héroïne, Rosa.
En 1943, en pleine campagne de Russie, Hitler craint pour sa vie, notamment par empoisonnement. Barricadé, réfugié dans La Tanière du Loup, la Wolfsschanze, en Prusse orientale, il exige que ses repas soient goûtés avant de les manger.
Dix femmes, dont Rosa Sauer, sont recrutées de force pour servir de goûteuses au Führer, travailler pour lui, devenir ses salariées.
Les premiers jours, c'est la peur au ventre que Rosa avale les bouchées qui la nourrissent, la maintiennent en vie et pourtant pourraient la tuer. La peur, l'effroi est palpable dans le réfectoire où les goûteuses sont installées. Leur ventre creux crie famine, réclame d'être rassasié de mets qu'il n'a plus ingérés depuis des années, tandis que leur esprit panique à l'idée du poison qui pourrait s'y dissimuler.
Ce roman de
Rosella Postorino m'a captivée de la première à la dernière ligne. Les épisodes historiques, le quotidien des goûteuses, celui des civils Allemands, l'indifférence de certains d'entre eux vis-à-vis du Führer, voire leur antipathie, le comportement des soldats et SS nazis à l'égard de leurs compatriotes sont intéressants au plus haut point.
L'autrice ne juge pas, elle raconte. Elle raconte la docilité des goûteuses, leur sentiment de culpabilité face à cette nourriture abondante pendant que tant d'enfants, de femmes et d'hommes meurent de faim, les tensions,la solidarité, les liens qui se tissent entre les goûteuses, leur vie en l'absence de leurs conjoints qui ont rejoint l'armée.
Elle provoque de nombreux questionnements à l'instar des réflexions introspectives de Rosa.
A quel moment est-on complice ? le statut de victime ne reste-t-il pas acquis lorsqu'on n'a pas le choix ? Filer doux vous rend-il coupable de collaboration ? Ne serait-ce pas plutôt et simplement l'instinct de survie, l'envie de vivre ou la peur de mourir qui rend docile ? Si oui, est-ce blâmable ? Lâche ? Courageux ? Puisque le contrat originel impose à tout être humain de mourir après avoir vécu, faut-il à tout prix avancer, continuer, chercher un sens à sa vie alors que l'issue fatale est inexorable ?
Le style de l'autrice limpide et fluide impulse une belle dynamique à la lecture. Je l'ai lu en apnée. J'ai suivi une Rosa très attachante, vulnérable et courageuse, vivant dans cette période très dure des moments de ravissement tels des bouées de sauvetage auxquelles elle s'accroche pour ne pas sombrer dans l'abattement.
Rosella Postorino nous dresse un époustouflant portrait de jeune femme allemande mais pas nazie, depuis sa rencontre avec son futur mari jusqu'à la défaite du Troisième Reich.