Les pierres sauvages, une association de mots étonnante, un titre auquel je n'ai pu résister !
Dès les premières pages,
Fernand Pouillon a réussi un tour de force: m'entraîner au coeur d'un voyage médiéval dans les pas d'un moine cistercien accompagné de ses frères. Il faut dire que l'incipit nous plonge de suite dans le vif du sujet: le quotidien des moines bâtisseurs à l'occasion de la réalisation d'un nouveau projet architectural.
Cette grande aventure commence en 1161, à travers le journal de bord fictif du moine bâtisseur, Guillaume Balz dont l'identité est révélé en fin de récit.
Commandité par son abbé ,
Bernard de Clairvaux, frère Guillaume quitte Cîteaux pour réaliser un nouvel édifice à la gloire de Dieu et de Marie, la future abbaye du Thoronet, première abbaye en Provence, où une communauté installée à Notre-Dame-de- Florielle (près de Tourtour dans le Var) à du mal à survivre.
Le lecteur devient ainsi le compagnon privilégié de frère Guillaume et le témoin du quotidien de cette communauté dont nous découvrons les règles strictes et parfois outrepassées dans l'engouement général et l'ardeur déployée pour faire avancer l'ouvrage.
Guillaume avec qui nous partageons exaltation, visions créatives, artistiques et souvenirs de trente ans d'appartenance à l'Ordre mais aussi les tracas de l'organisation matérielle du chantier, et nous confiant se sentir plus maçon que moine, plus architecte que chrétien. Guillaume désigné maître d'oeuvre et cellérier (gestionaire financier, économe) qui étapes par étapes, après maintes réflexions et consultations, met en branle ce grand chantier. Guillaume obsédé par le choix de la pierre, qui veut imposer les pierres du pays,
les pierres sauvages, les plus proches du chantier mais aussi les plus difficiles à travailler, les pierres aux reflets gris et ocres d'où naîtront la beauté, la lumière et qui magnifieront les volumes révélant leur grandeur dans le dépouillement recherché de l'art cistercien.
Un tableau médiéval animé où prennent corps les aspirations propres à chacun, qu'il soit moine, convers ou compagnon, tous concentrés à la tâche mais les sens en éveil dans une nature prise en main par les travaux de défrichements, d'essartages etc... oeuvrant à l'unisson pour ce mirage lumineux malgré les souffrances, les soucis, les privations.
Un portrait de Guillaume de Balz émouvant et touchant esquissé de manière très fine, notamment dans le rapport aux autres, épiant et surprenant ses frères dans leur contribution solitaire au chantier et leur dévouement.
L'écriture limpide et sobre de
Fernand Pouillon (1912-1986), architecte de formation, sert le propos d'une manière subtile, poétique pour nous faire entrevoir la sensibilité du moine Guillaume, plus technique pour nous faire appréhender les difficultés de sa création artistique .
Superbe journal de bord dans lequel on s'enveloppe au fil des pages à l'image du corps des frères dans les coules (robes longues en laine blanche avec capuchon).
Je me suis mis ainsi à espérer avec eux à ce rêve de pierre, chef d'oeuvre éternel en devenir.
Les pierres sauvages, un récit inspiré pour conter une belle aventure humaine
Une lecture à découvrir pour un moment de plénitude...