Citations sur La chambre aux échos (54)
Sa vie durant, elle a soupçonné en secret que tout ce que l’on apprend à vouloir, tout ce que l’on fait vraiment sien, nous est retiré un jour. A présent elle sait pourquoi : rien ne nous appartient en propre.
Elle avait pris, tout au plus, une bonne cuite de simplicité dont il lui fallait maintenant se dégriser.
Ces oiseaux* dansaient comme nos plus proches parents, ils leur ressemblaient, appelaient, voulaient, enfantaient, enseignaient et sillonnaient le monde tout comme nos frères de sang. La moitié de leurs organes résidaient encore en nous. Pourtant, les humains répudiaient ces créatures d'un revers de main : des "imposteurs". Etrange spectacle, tout au plus, à observer depuis un affût.
*les grues
Un visage presque comme le sien, si proche qu'il lui réclame quelque chose, ne serait-ce que des mots, au moins. Ce visage - elle - comme une pluie qui pleure. Rien d'elle ne dira ce qui s'est passé.
Un besoin tente de s'arracher à lui. Besoin de "dire", plus que d'être. Une bouche, et tout sortirait. Alors elle saurait ce qui s'est passé, saurait que sa mort ne fut pas ce qu'elle semble.
Ce moi que le moi décrit à lui-même, nul n'en était détenteur. Mensonge, déni, refoulement, confabulation : non, pas des troubles, mais une signature. celle de la conscience s'efforçant de rester intacte. Que valait la vérité auprès de la survie ?
Le doute formait une petite croûte sur la blessure, qu'elle écorchait. Elle ne désirait rien, sinon tout démolir, déblayer le terrain, fuir en un lieu désert et authentique. mais un tel lieu n'existait pas...
Des oiseaux le pistent d’arbre en arbre. Une troupe de quiscales, des animaux-espions. Ils font un boucan des plus inconvenant, comme si sa présence leur posait problème.
(10/18, p.396-7)
La solitude inexplicable de cette femme le troublait. Un événement s'était produit, qui l'avait enfermé dans une posture ; une étrange perte de confiance l'avait poussée à mener une existence modeste bien au-dessous de ses compétences. Elle avait perdu une part d'elle-même, ou s'en était amputée, rejetant la compétition, refusant de participer à une entreprise collective chaque jour plus effrénée. Une atteinte du cortex préfrontal pouvait-elle avoir transformé Barbara en ermite ? Aucune lésion n'était nécessaire. Il les reconnaissait, elle et son renoncement. Quelque chose les liait l'un à l'autre.
Le passé de la jeune grue coule dans le présent de toute créature.
Quelque chose en son cerveau apprend cette rivière, ce mot plus vieux de soixante millions d'années que le langage, plus ancien même que cette plate étendue d'eau. Ce mot restera quand la rivière ne sera plus. Quand la surface de la terre sera brûlée et gâtée, quand la vie sera réduite à presque rien, ce mot entamera son lent retour. L'extinction est courte ; la migration est longue. La nature et ses cartes tireront profit de ce que l'homme pourra lui infliger de pire. Les descendants de la chouette orchestreront la nuit. Lorsque tout le reste aura disparu, les oiseaux continueront de trouver l'eau. Rien ne nous regrettera.
Nous avons tous nos moments de délire, comme lorsque nous regardons le soleil se coucher et que, l'espace d'une seconde, nous nous demandons où il s'en va. Ces instants offrent à chacun la possibilité de comprendre les défaillances mentales d'autrui.