Parfois Dakotah partait flâner à pied dans le ranch ; elle se dirigeait en général vers la pente abrupte plantée de pins où il y avait une petite source ; le sol était jonché d'ossements gris qui dataient du temps où un puma y avait établi sa tanière sous un tronc d'arbre. Bonita elle-même ne se promenait jamais : ç'aurait été un abandon de poste et une perte de temps. Au printemps, elle marquait les bêtes avec les hommes et trouvait encore moyen de préparer à manger pour tout le monde ; au moment de la vente de novembre, elle surveillait à cheval les vaches que l'on poussait dans les camions bariolés d'images de fromages suisses tandis que Verl allait couper du bois dans la forêt. Verl ne marchait jamais ; il était toujours ou dans son camion ou assis dans le fauteuil à bascule qu'il aimait. Il entrait dans la maison et soupirait :
"j'ai encore eu de la chance aujourd'hui." Sa voix était plaintive.
Elle attendait. Encore une de ses histoires interminables qui ne conduisaient nulle part et lui faisaient perdre son temps.
Sur de petits rebords et saillies de la roche des plantes fleurissaient. Couleurs et lieux atteignaient à une si rare perfection qu'elle en éprouva une grande tristesse. Pourquoi ? Elle n'en savait rien mais songea que la cause en était peut-être un sens du spirituel qui remontait à l'origine des temps. Dans cet endroit sauvage, il n'y avait aucun signe de l'homme sinon le bruit occasionnel et presque indistinct d'un jet volant très haut. La solitude provoquait des réflexions existentielles.
... alors qu'ils s'embrassaient, Rose dans ses transports commença à le mordiller, à le lécher, à lui faire des pinçons dans le cou, à l'épaule, dans le creux musqué de l'aisselle et à la pointe des seins ; elle s'arrêta quant elle s'aperçut qu'il tremblait, qu'il avait les yeux clos des larmes dans les cils, et que son visage grimaçait.
"Oh ! Archie, je ne voulais pas te faire mal...
- C'est pas ça... C'est que je n'ai jamais été... aimé. Je trouve que c'est ... presque insupportable. Et Archie se mit à chialer. "J'ai l'impression qu'on m'a tiré dessus", reprit-il en la prenant dans ses bras et en roulant sur elle, de sorte que ses larmes salées et sa salive mouillèrent le chemisier brodé de Rose, et en l'appelant son petit oiseau. A cet instant, elle aurait été prête marcher dans la fournaise pour son Archie.
La télévision lui parut toujours inférieure à la radio. Les images sur l'écran n'avaient pas la qualité de celles qu'il avait dans la tête.
L'ennui avec le Wyoming, c'était ça : tout ce que vous aviez jamais fait ou dit vous suivait à la trace jusqu'à votre dernier jour. La famille régionale.
La chaleur de juillet était étouffante, l’air vibrait, le sol sec ressemblait à un sabot de mouton qu’on aurait gratté. Le soleil décolorait tout et la Petite Weed n’était qu’un filet d’eau qui coulait entre des pierres sans éclat.
Dans les nuits claires, par temps sec, les cris des coyotes semblaient émaner d'un point, en rayonner en ligne droite ; c'était des fils tendus qui se croisaient. Quand le ciel se couvrait, les hurlements se diffusaient comme comme des cercles concentriques nés d'une poignée de cailloux jetés dans l'eau. Mais le plus souvent, le vent qui s'élevait dans la plaine éparpillait les cris comme du sable, comme une poussière de coyotes fractionnée en particules sonores.
Boys smiling, sure on their risks, healthy
"Voyageur, il n'y a pas de chemin.
C'est en marchant qu'on trace les
chemins."
Antonio MACHADO (1875-1939)