Ce n'est pas sans retenir son souffle que l'on pénètre dans un lieu où un grand artiste a élaboré une part importante de son oeuvre. Je me revois gravir lentement, ému, les escaliers de Hauteville House, la demeure de
Victor Hugo à Guernesey, ou bien franchir le seuil de l'atelier de Cézanne à Aix-en-Provence.
C'est un peu le même genre d'impression que l'on peut avoir en ouvrant les pages de ce recueil de textes que
Marcel Proust a écrits dans les années 1890, alors qu'il avait une vingtaine d'années. Ces nouvelles (dont certaines sont inachevées) paraitront peut-être à certains insignifiantes au regard de cette "Cathédrale du temps" qu'est son grand oeuvre, A la recherche du temps perdu. Pour d'autres, dont je suis, elles constituent au contraire un précieux témoignage de la gestation de ce futur chef d'oeuvre.
Les judicieuses indications de
Luc Fraisse nous permettent de tirer les nombreux fils entre ces miniatures de jeunesse et l'oeuvre de la maturité qu'est
La Recherche. La nouvelle qui donne son titre au recueil, "Le mystérieux correspondant", nous raconte l'aveu d'une passion homosexuelle qui est ici, déjà, transposée au féminin. Ce seul texte, à la fois plein d'audace et d'hésitations (dans l'histoire comme dans le récit qui en est fait), vaut à lui seul de se pencher sur ce surprenant recueil.