Il y a des soirs où quand tu joues, avait dit autrefois Couto dans une interview, tu sens que ton esprit s'en va se promener. Tu es tellement bien que tu t'en vas, ton esprit part faire un tour ailleurs, s'en va visiter l'esprit des autres musiciens, visiter les visages des spectateurs qui sont là, tout près de toi, en train de sourire. Tu sens que c'est bon, tu ne penses plus à rien, tu n'écoutes plus ce que font tes doigts, tu regardes simplement ceux qui jouent à côté de toi et tu vois le sourire de leur visage, tu n'as même pas besoin de leur parler, simplement tu sais, tu vois qu'eux aussi savent, c'est très bon.
Quand nous aurons notre pays et que notre peuple ne saura ni lire ni écrire, nous n'aurons encore rien, avait dit Cabral. Et aussi cette phrase : si l'un de vous porte un fusil et un autre un outil, le plus important des deux est celui qui a l'outil.
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Rien n'avait jamais changé : l'armée était toujours restée l'armée, à la fois au-dessus des lois et soumise aux volontés de ceux qui la finançaient d'en haut, versaient les soldes en retard, remplissaient les poches complaisantes.
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I muri. Zé au téléphone avait dit ces deux mots le plus doucement possible pour les rendre moins coupants. I muri Couto, elle est morte – répétant I muri comme s’il avait craint que les deux mots n’aient pas suffi la première fois, comme s’il avait eu besoin lui-même de les dire à nouveau. Couto tu m’entends tu ne dis rien
Binham avait attaqué Baliera, la chanson de l’amour, connue pour faire pleurer tous les amoureux, avait enchaîné sur Djan Djan, la chanson de l’exil, connue pour faire pleurer tous les Guinéens tout court
Atchutchi dans ses chansons ne disait pas amour, il disait Baliera, quelque chose à mi-chemin du balancement et de la danse. Baliera comme le flux et le reflux du désir, des océans, des astres. Baliera comme le grand balancement du monde, la soif universelle d’aimer. Les hommes et les femmes de ses chansons n’y pouvaient rien, ils étaient les jouets d’une houle qui les bringuebalait de-ci de-là, imprévisible, toute- puissante
Cette diablesse de femme que tu aimeras toujours disait-elle en riant les fois où passait une chanson de Dulce à la radio. Cette ensorceleuse contre laquelle je ne pourrai jamais rien. La voix de Dulce ruisselait dans la pièce, planait entre les murs autour d’eux, enfantine, pleine de grâce.
Coutoooooooooooooooo ! Dans son souvenir ces trois années n’étaient pas seulement l’âge d’or du groupe. C’étaient les années Dulce. Indissociable de ce pan de vie, elle était là, avec son sourire, sa fierté, ses sautes d’humeur. Si intimement mêlée à l’ivresse de cette période que Couto ne pouvait dire ce qui, de son éclat, tenait à l’histoire qu’ils avaient eue ou à l’euphorie ambiante d’alors
« Binham avait attaqué Baliera, la chanson de l’amour, connue pour faire pleurer tous les amoureux, avait enchaîné sur Djan Djan, la chanson de l’exil, connue pour faire pleurer tous les Guinéens tout court ».