Visionnaire de l'Histoire, voyeur au quotidien. Sans doute s'agit-il du même désir ? Tout percevoir, tout savoir, relier et englober. L'Histoire universelle et mes entrailles, comme il dit. Méticuleusement archivées dans ce journal: "La connaissant comme si j'eusse vécu dans ses entrailles". Du sang ou de l'excrémentiel, je ne saurais dire ce qui le fascinait le plus, dans mon corps et dans le cours de l'Histoire. Cette Histoire qu'il dévorait, digérait, déféquait - comme s'il craignait d'être englouti dans ses flots de fange et de sang.
A propos de Michelet.
Lorsque je sentais la mort rôder autour de nous, louve tenace et fidèle, ou lorsque je le voyais trop découragé, j'affirmais : Tu survivras par tes livres. Non sans un tremblement intérieur. Evoquer cette survie, c'était approcher de la mort, à défaut de la reconnaître. Il rétorquait, doucement ironique :
- Et toi, grâce à mes livres, tu apparaîtras comme l'épouse modèle de l'écrivain.
Ou modelée par lui ? Non, j'exagère...Tout de même, quelle étrange violence exerce l'écrivain sur lui-même, sur ses proches. A son insu, pour une part. Et pas seulement parce qu'il les écornifle.