Je commence à comprendre que pour un même lieu il est autant de chemins que d'interlocuteurs. Sans doute ne trouverai-je que ma propre voie. Je ne sais plus si je vais chaque jour dans les collines sur les traces des demoiselles ou par toxicomanie. Drogué d'odeurs, suffoqué soudain par une bouffée acide et chaude. Si je m'arrête ou si je fais demi-tour pour la ressaisir, elle a disparu. Il convient de se laisser surprendre. Je me lève en état de manque. Avide, je pars chercher ma dose de sarriette ou de lentisques. Je parviendrai peut-être à en faire sortir cette maison, à la lever, telle une hallucination.
Durant près de quarante ans, soeur Marie-Félicie s'est résignée à la désolation d'une vie religieuse désertée par la grâce. Elle s'est astreinte aux rituels exigeants de la prière et de l'enseignement. Ce soir de mistral, le doute la démantèle. Adrienne en est le symbole, ramassée dans ce bonheur dru et visible qui ne doit rien à la visitation divine. Et si Ernestine Péralty s'était fourvoyée ? Si l'irruption ardente de jadis n'était née que d'elle-même, de son corps bouleversé, d'un désir qu'elle n'avait su comprendre ?
Mireille se souvient : à l'école déjà, elle avait des difficultés avec la concordance des temps. Le passé n'est pas simple. Il faut composer avec. La vie s'empêtre dans des décalages. il est facile de remettre de l'ail dans les épinards. Mais dans l'amour?"