Citations sur L'île des âmes (96)
Par instants, en plus de répandre un flot de parfums balsamiques, le vent sifflait dans les lézardes des roches, créant une symphonie de pierres musicales, et Bastianu était capable de reconnaître les yeux fermés le type de brise qui soufflait, simplement au son que produisaient les roches, car chaque courant d'air vibrait selon un accord différent.
Là-haut, les pensées se raréfiaient. Le raisonnement se muait en contemplation. Il n'était pas rare de voir des aigles royaux fendre le ciel, planant au-dessus de la troisième mer, cette immense étendue de verdure qui recouvrait tel un manteau la Barbagia transie de froid, d'apercevoir un petit groupe de mouflons, un vautour fauve ou, avec un peu de chance, un spécimen de cerf sarde, auquel les Barbaricins associaient un joyeux présage.
Un vent tiède s'était levé, qui charriait vers le littoral le ressac de la mer et faisait bruire doucement les palmiers. On sentait dans l'air la capitulation de l'après-midi face au soir.
- Si jamais tu te poses la question, c'est le sirocco. Il souffle de la mer vers la côte et, l'été, il nous apporte la chaleur de l'Afrique et met la ville en feu. Littéralement, parce qu'il alimente et attise les incendies et qu'il rend les gens complètement fous.
Par rapport à Milan, c'était comme si les gens évoluaient au ralenti, et cette façon de profiter de la vie dans le calme, sans toujours penser à quelque chose, lui plut immédiatement.
Dans les hameaux de l'arrière-pays sarde, sa oghe de Deu, la cloche, scandait encore les étapes fondamentales de l'existence des habitants : naissances, mariages, deuils, fêtes religieuses. C'était en quelque sorte la voix de la communauté, dont tous apprenaient dès l'enfance les tintements pour s'orienter dans la vie du village.
Ils avaient succombé aux sirènes trompeuses du dieu industriel, courbé l'échine avec enthousiasme, abjuré la nature qui durant des siècles avait accueilli et nourri leurs ancêtres. Mais après les promesses éblouissantes d'une vie meilleure et prospère, cette divinité capricieuse et versatile les avait abandonnés, ne laissant derrière elles qu'épaves rouillées, chômage, déforestation, émigration de masse, âmes à la dérive dans les vapeurs d'abbardente, territoires et animaux irrémédiablement empoisonnés.
- Hum, j’ai peur que tu perdes ton temps, Barrali. Tu connais le proverbe ? Qui naît âne ne peut mourir cheval. (p. 49)
Il marchait pendant des heures dans une totale solitude, le long des sentiers, accompagné du chant des hiboux petits ducs et des gazouillis des oiseaux qui filtraient à travers l'enchevêtrement de branchages. Plus il avançait, plus il lui semblait remonter le temps; même le paysage se faisait plus âpre et archaïque, plus éprouvant.
Tous les policiers en ont au moins une : une affaire non résolue qui les empêche de dormir, qui continue de les tourmenter pendant des années, qui les réveille au milieu de la nuit, tailladés par la culpabilité, en proie à des rafales de souvenirs et d’images indélébiles. Et ceux qui sont trop jeunes pour en avoir une en héritent d’un officier plus expérimentés. Comme un passage de témoin. Un pacte pour étouffer les démons du passé, apaiser les fantômes et pouvoir mourir en paix, sans regret pour tout ce qu’on aurait pu faire et qu’on a pas fait.
Tu es aussi sympa que l'arrivée des règles un premier jour de vacances à la mer, tu sais ?