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Critique de Agneslitdansonlit


Les éditions Gallmeister sont réputées à juste titre pour leur introspection sans concession d'une Amérique déclassée où la nature, sauvage, s'accapare la part belle. Mais avec "L'île des Âmes", elles s'exilent en terre sarde.
C'est donc en Sardaigne que nous convie Piergiorgio Pulixi, écrivain italien cagliaritain, qui fut d'abord libraire, puis, déçu de l'absence de polars qui se dérouleraient sur sa terre natale, a pris la plume pour nous livrer cette Île des Âmes. Et c'est effectivement une écriture qui dépeint avec attachement et presque fascination une île aux paysages bruts, écrasés de chaleur, aux senteurs puissantes du maquis; une île encore très ancrée dans ses traditions, où malgré la modernité d'un 21ème siècle qui s'infiltre partout, perdurent des racines profondes.

Et c'est sûrement la grande force de ce roman que de se placer sous les auspices d'une culture ancestrale, conférant à ce récit une teinte envoûtante, presque sépulcrale.

Voilà pour la toile de fond. Il ne faudrait pas pour autant se leurrer, car il ne s'agit pas d'un voyage d'agrément.
Piergiorgio Pulixi confie avoir puisé son inspiration dans la série "True Détective", ainsi qu'auprès d'auteurs comme Joe Lansdale et Cormac Mac Carthy, virtuoses du roman noir et plus spécifiquement pour Mac Carthy, du "Southern Gothic". On retrouve tout à fait dans "L'île des Âmes" cette veine littéraire américaine qui valorise des particularismes typiques d'une région, comme leurs paysages, leurs coutumes ou croyances, mais en se focalisant sur le côté sombre, instillant une ambiance pesante et glauque.

Et le pari est réussi pour ce roman car c'est certainement l'aspect qui m'a le plus séduite. Cette île, sous l'écriture de Pulixi, se nimbe, loin des côtes de sable fin, d'une ambiance macabre et lugubre. L'auteur utilise la culture ancestrale sarde nuragique comme vecteur de cette atmosphère et convertit les nuraghes et les sources sacrées nuragiques en scène de crime.

Dans la région de Barbagia sont retrouvées à des périodes différentes des corps de femmes, sur des sites nuragiques, dans des mises en scène de rituels funèbres similaires. Les enquêteurs qui se seront succédés sur les investigations ne parviendront pas à les résoudre, jusqu'à ce que deux inspectrices, "mises au placard" par leur hiérarchie, ne soient affectées sur ces "cold case". Eva Croce et Mara Rais doivent collaborer dans le cadre de ces affaires non- résolues, mais aussi suite à la disparition d'une jeune fille.
Piergiorgio Pulixi manie avec dextérité l'alternance des points de vue et de narration, grâce à des chapitres courts, dédiés aux différents protagonistes : les enquêteurs à tour de rôle, les membres d'une famille sarde ancrée dans le respect des traditions; jusqu'à donner habilement la parole à la jeune fille disparue, ce qui procure un ton saisissant au récit. le rythme reste ainsi très soutenu, tout en "habillant" d'émotions tangibles tous les personnages.

L'auteur réussit un tour de maître en sondant les âmes des enquêteurs. Non seulement en s'attachant à décrire les blessures intimes de ces deux femmes enquêtrices, très dissemblables et pourtant si proches dans leur résilience. Mais également (et c'est selon moi la réussite majeure de ce roman), en "dépeçant jusqu'à l'os" l'essence même de ce qu'est un enquêteur. Oui, son âme, ce qui fait sa fibre la plus profonde, ce qui resterait de lui lorsqu'il est réduit à sa part congrue, par l'âge, la maladie, la mise au ban par sa hiérarchie. le crime résolu ou non, ne pervertit pas seulement celui qui le commet, mais aussi celui qui pour retrouver le coupable doit plonger dans la noirceur en apnée. Qui dès lors, d'un meurtrier, d'une victime ou d'un détective perd son âme ?
Plusieurs passages saisissants traduisent le lourd tribut que paye l'enquêteur dans sa quête obsessionnelle, cette seconde peau qui finit par le recouvrir, comme après une brûlure un tissu ferait corps avec la chair.

"Toutes les affaires d'homicide ne sont pas identiques. Certaines te collent à la peau pour toujours. Tu les portes en toi comme des cicatrices. Au bout de quelques années, elles cessent de te faire mal et tu n'y prêtes plus attention. Elles deviennent une partie de toi. le tissu cicatriciel s'atténue au point que tu finis par ignorer sa présence. Mais il suffit d'un détail, d'une odeur, d'un regard ou d'un mot pour réinfecter la plaie, pour rouvrir la boîte de Pandore que tous les enquêteurs ou presque gardent en eux, laissant libre cours à des souvenirs corrosifs et à une culpabilité aussi sournoise que des parasites intestinaux".

J'ai été très séduite par cette atmosphère mystique et l'autopsie de ces âmes précipitées dans l'obscurité.
J'ai par contre trouvé plus laborieux et lassant la rencontre entre ces deux policières sur le mode trop répétitif "chien-chat", réduisant leur relation à un dialogue simpliste et primaire. Heureusement l'auteur semble s'en être lui-même lassé, leur offrant enfin un visage authentique lorsqu'il dévoile leur parcours et leur blessure.

Malgré quelques petites incohérences, notamment de ton entre celui, tragique, annoncé en début de roman puis celui final, ouvrant sur une envolée d'espoir, "L'île des Âmes" reste un récit très prégnant, car gorgé d'un climat sombre et funeste, du fait d'une plongée en ces terres d'âmes perdues.
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