- Je n'arrive pas à comprendre pourquoi vous êtes si curieuse. Si encore vous connaissiez Neville Forbes...
- Mais c'est comme une sorte de jeu, protesta Dulcie.
Cela paraissait - elle se garda de l'avouer à Viola - tellement moins risqué et tellement plus confortable de vivre à travers la vie des autres - d'observer leurs joies et leurs peines avec détachement comme si l'on regardait un film ou une pièce de théâtre.
C'était sûrement une sorte de présage. Mais de quelle sorte ? Elle l'ignorait. En entrant chez elle, elle prit conscience de sa solitude.
Elle se plaisait à se ranger parmi les personnes totalement franches. "Les gens savent toujours où ils en sont avec moi", disait-elle avec pas mal de suffisance. Il ne lui venait jamais à l'esprit que les gens ne tenaient pas toujours à savoir ce genre de choses.
Il y avait quelque chose d'affreusement déprimant dans la culture des gens d'un certain âge.
J'ai l'impression d'avoir été précipitée de toute urgence à la fin du livre sans qu'on m'ait laissé lire le milieu comme il faut.
- Il est marié ? demanda Dulcie sans détour.
- Oh ! oui, bien sûr... enfin, dans un sens, répondit Viola avec impatience.
Dulcie hocha la tête. D'ordinaire, les gens étaient mariés, mais trop souvent en effet c'était seulement " dans un sens".
Pour ce qui concerne l'apparent changement dans son coeur, il s'était tout à coup rappelé la fin de Mansfield Park, et comment Edmund avait cessé d'aimer Mary Crawford pour s'intéresser à Fanny. Dulcie devait certainement connaître ce roman, et elle comprendrait comment de telles choses peuvent se produire.
Le mariage ne représente pas forcément la réponse à tous nos problèmes, (...).
Ainsi arrive-t-il que les hommes et les femmes s'évitent mutuellement, sans que les hommes se rendent toujours compte qu'ils ne sont pas les seuls à pratiquer un tel évitement.
La jeune femme ressemblait à une version plus élégante d'elle-même ; elle avait un peu l'allure que Dulcie aurait eue si elle avait été prise en main par quelque magazine féminin. Ses cheveux blonds étaient élégamment ramenés en un espèce de pli derrière la tête, il y avait une ombre bleue sur ses paupières et ses ongles étaient vernis dans une teinte rose nacrée. Dulcie se détourna et soupira. C'était un peu vexant de contempler le portait de ce qu'on aurait pu être.