- D'accord, chéri, continue. Ca te vient d'où, le mélo ?
- Du métro. Des femmes qui lisent dans le métro. Elles sont belles, elle pleurent, elle rient, elles s'accrochent à leur voisin. Elles ont de beaux marque-pages damassés à franges. On dirait qu'elles ne vont nulle-part sauf dans leur bouquin.
« la seule différence entre les femmes et les hommes, chéri, c’est que nous les femmes, nous avons des couilles ! » Françoise Verny
La vie ? Je ne sais pas ce que c'est, l'histoire humaine, sa destinée. Si la vie est un rêve, je veux bien rêver des milliers d'années, l'écrire indéfiniment. Si c'est un cauchemar, il me reste la violence et le sourire des mots pour l'amadouer. Si le temps doit se poursuivre ailleurs, je ne demande qu'à me réveiller sain et sauf, là-bas, chez les miens. (p. 226)
Qui n'est pas le convalescent d'un souvenir plus fort que les autres, auquel il ne repense jamais sans en raviver les délices ou la plaie ? (p. 25)
J’« écrivais » déjà, à l’époque, ma jungle secrète. J’écrivais solitaire, j’écrivais maudit, j’écrivais gentil, j’écrivais méchant, j’écrivais mélo, j’écrivais catho, j’écrivais sexe, j’écrivais chaud : j’écrivais depuis l’âge morveux des porte-plumes. À qui j’en parlais ? À personne. Aux filles, quand j’avais des vues sur elles, à peu près toutes. Je commençais par là d’une petite voix chavirée, l’érection à fleur de peau : « j’écris, tu sais », J’ÉCRIS, le mot roule-ta-caisse entre tous, celui qui jette à vos pieds les Anna Karénine, narines frissonnantes, « embrasse-moi ». J’ÉCRIS, fillette, je suis Tolstoï, je suis Dieu, et si tu me laisses t’embrasser sur la bouche, maintenant, tu pourras dire un jour que tu as embrassé un futur écrivain célèbre, et qu’il t’a caressé les seins avec la rage d’être le premier, et le dernier, à s’en emparer. J’écris des nouvelles inachevées, des poèmes inachevés, des romans inachevés, des lettres inachevées, des chansons inachevées, des phrases inachevées, je suis le roi des mots inachevés, raturés, le roi des ratures, et il ne tient qu’à toi de laisser la main d’un pareil génie remonter entre tes cuisses le temps de devenir fou. J’ÉCRIS, vois-tu, on ne refuse pas sa chair vierge à la chair frustrée d’un enfant qui vient de perdre sa mère, son grand amour de maman, la seule à lui avoir dit qu’un jour il serait Tolstoï ou rien, mais voilà qu’elle est morte, et Tolstoï ne pense plus qu’à dévorer tes fruits et tes fleurs, à t’aimer.
C'est un drôle d'oiseau, Les Noces barbares. Il marque le retour de la narration dans le roman français qui s'en croyait émancipé. Branle-bas de combat chez les missionnaires de l'écriture blanche. Il ne faudrait surtout pas que cette bluette fasse parler d'elle plus qu'elle ne le fait déjà : surtout pas qu'elle ait un prix d'automne, et surtout pas le prix Goncourt. (p. 206)
Si Françoise avait une bête noire, en mode whisky, c'était la femme d'écrivain, la plus "noire" étant la femme d'écrivain écrivain, catégorie montante au début des années 70. Les auteurs amenaient leur femme en confiance, et la femme souhaitait ne plus jamais revenir dîner au 46. (p. 109)
Avec tout ça, je ne vous ai pas dit, ou trop vite, à quoi elle ressemblait. J'ai lu, à sa mort, qu'elle avait "le physique ingrat". Non mais quel Adonis bidon, quel aigri du manuscrit refusé a pu concevoir et signer cette ignominie ! Ingrat, le physique de Françoise ? Il était comme son intelligence : hors du commun, dionysiaque, au-delà des critères, d'une beauté primitive de volcan ou d'aurochs. Il irradiait comme une allégresse - le seul diapason qui mit d'accord les sages et les fois, chez elle, au 46, on disait tous le "46". (p. 52)
Et comment réagit l'individu sain d'esprit lorsque sa bonne étoile lui fait des risettes au vitriol ? (p. 31)
Un rêve éveillé s’est introduit dans le champ mental ou vital de mon livre en cours, hier soir : de notre livre, et si les rêves sont bien les forces secrètes de la nature, ils n’en sont pas moins volatiles comme les fées. Il me faut absolument vous raconter ce qui s’est passé avant qu’il ne se soit plus rien passé d’ici à quelques instants.