Il est bon d'envisager à l'origine des temps un couple heureux. C'est l'hypothèse dite du Paradis terrestre. Le premier malheur qui les accable, les précipite dans l'histoire et la chronologie commence.
L'emploi normal de la vie de l'homme est donc de travailler et d'imaginer.
Les récits vrais traitent de la faim, et les récits imaginaires de l'amour.
Si l'humanité atteignait un état d'équilibre, il n'y aurait plus d'histoire.
L'action collective peut se faire sans autre aide que le geste ou le croquis, mais le malheur a besoin du langage, et le forge.
LXXXVI
Travail et littérature
La littérature est la projection sur le plan imaginaire de l'activité réelle de l'homme; le travail, la projection sur le plan réel de l'activité imaginaire de l'homme. Tous deux naissent ensemble. L'une désigne métaphoriquement le Paradis Perdu et mesure le malheur de l'homme. L'autre progresse vers le Paradis Retrouvé et tente le bonheur de l'homme.
S'il n'y avait pas de guerres ou de révolutions, il n'y aurait pas d'histoire ; il n'y aurait pas matière à histoire ; l'histoire serait sans objet. Tout au plus existerait-il des annales. La parémiologie l'enseigne : les peuples heureux n'ont pas d'histoire. L'histoire est la science du malheur des hommes.
Un groupe peut adopter simultanément plusieurs solutions : émettre des groupes secondaires, asservir d'autres groupes, distinguer en soi-même des classes de consommateurs, pratiquer des sacrifices humains périodiques, etc...
Nous admettrons cette hypothèse : que tout groupe cherche à se maintenir dans l'état dans lequel il se trouvait précédemment.