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EAN : 9782070361038
186 pages
Gallimard (19/05/1972)
  Existe en édition audio
3.59/5   3104 notes
Résumé :
- Zazie, déclare Gabriel en prenant un air majestueux trouvé sans peine dans son répertoire, si ça te plaît de voir vraiment les Invalides et le tombeau véritable du vrai Napoléon, je t'y conduirai.
- Napoléon mon cul, réplique Zazie. Il m'intéresse pas du tout, cet enflé, avec son chapeau à la con.
- Qu'est-ce qui t'intéresse alors ?
Zazie répond pas.
- Oui, dit Charles avec une gentillesse inattendue, qu'est-ce qui t'intéresse ?
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Critiques, Analyses et Avis (204) Voir plus Ajouter une critique
3,59

sur 3104 notes
« - Tu causes, tu causes, c'est tout ce que tu sais faire. »

Remarque la plus pertinente du livre. Remarque qui s'adresse à tous les personnages de Zazie dans le métro. A part causer, ils ne font pas grand-chose. L'intrigue est réduite à peau de chagrin, rythmée uniquement par les rencontres de Zazie, petite provinciale venue passer quelques jours chez son oncle à Paris, et par le spectre fascinant du métro.


Ce n'est évidemment pas la légèreté de l'intrigue qui définit ou non la qualité d'un roman. Un livre peut être excellent, même s'il est bâti autour du néant. En réalité, Zazie dans le métro peut se targuer d'aligner quelques aventures (insignifiantes), mais tout bien résumé, les personnages se contentent surtout de brasser de l'air et de parler dans le vide.
Se souviendrait-t-on encore de ce roman s'il n'avait pas été adapté en version cinématographique par Louis Malle ? Qu'est-ce qui justifie le succès de ce livre, sinon cette adaptation ? Les engouements sont parfois injustifiés, et tiennent plus de la liesse populaire que de la véritable révélation littéraire.


Bien que Raymond Queneau soit membre de l'Oulipo, prolifique et passionné des mots, il faut avouer que sa capacité à donner un intérêt dramatique à Zazie dans le métro est nulle, de même pour sa capacité à susciter la réflexion. Tout l'étonnement du livre surgit de la manipulation originale des mots. Se glissant dans la peau d'une provinciale perdue dans la capitale, Raymond Queneau joue avec les mots et leur phonétique, n'hésitant pas à se faire l'auteur de néologismes inventifs qui traduisent toute la naïveté de Zazie. Les dialogues, à tonalité orale, bénéficient d'une dynamique parfois presque épuisante, mais qui traduisent la passion communicative de Queneau pour les échanges verbaux considérés comme une joute oratoire.


Pour autant, cette inventivité littéraire ne mérite pas à elle seule de justifier l'attrait immodéré que peut susciter Zazie dans le métro. Dans le même registre, Orange mécanique de Burguess mériterait tout autant (voire davantage) qu'on parle de lui. Alors ? Alors Raymond Queneau a su trouver le bon dosage des ingrédients constitutifs de son livre : quelques aventures pas trop casse-tête, de l'humour légèrement vache mais surtout bon enfant et deux-trois trouvailles stylistiques qui rassurent quant au caractère intellectuel de la lecture. Malheureusement, le dosage ne permet pas au livre de s'inscrire définitivement dans le cerveau de son lecteur. Place au film peut-être ?

Lien : http://colimasson.over-blog...
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De ma lecture d'adolescente, je n'avais retenu que l'histoire d'une fillette un peu trop dévergondée, n'ayant pas froid aux yeux et employant un langage de charretière... Un peu une Fifi Brindacier parisienne quoi!
Mais, sous ce vernis édulcoré par les truculentes expressions argotiques de Queneau, se cache une sorte de "road movie" dans la ville de Paris où Zazie, au fil des rencontres et des expériences qu'elle va vivre sur à peine deux jours, va mûrir et devenir "adulte"...

Tout commence à la gare d'Austerlitz où Jeanne Lalochère qui a un nouveau jules confie sa fille, Zazie, à son frère, Gabriel, un colosse au grand coeur, le seul homme en qui elle peut avoir confiance... Dès le départ, la fillette surprend par son langage châtié et ses manières de garçon manqué. Provinciale, l'enfant ne rêve que d'une chose: voir le métro mais, malheureusement, celui-ci est en grève... le lendemain, elle part à la découverte de Paris... Pas facile pour son oncle et ses compagnons de la suivre, surtout qu'elle crie au satyre comme on crie au loup et place des "mon cul" à la fin de chacune de ses phrases! Faut dire qu'elle a des circonstances atténuantes...

Comment qualifier cette re-lecture? Surprenante, haletante et quelque peu ardue...
Surprenante car j'avais complètement oublié tout cet aspect initiatique du roman de Queneau. En bousculant les adultes, Zazie souligne leurs incohérences et essaie de comprendre ce qui se cache derrière leurs non-dits. Tout au long du récit, elle s'interroge énormément sur la sexualité et se demande si son oncle est un "hormosessuel" et ce que cela signifie...
Haletante car, de répartie en répartie, le rythme est assez effréné... Cela s'apparente à une pièce de théâtre où les scènes se suivent sans moment creux et où l'on passe rapidement d'un décor à un autre... Les répliques sont savoureuses et les personnages ont du répondant. Gabriel, en ange gardien, se mue, à plusieurs reprises, en philosophe...
Quelque peu ardue enfin, car, il faut se familiariser avec ce langage propre à Queneau, mélange d'argot, de langage populaire, de néologismes et de termes savants... Heureusement que j'avais internet à portée de main!
Bref, un livre, un VRAI, qui permet des lectures plurielles selon les âges...
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"- Il s'appelle Trouscaillon ! S'écria Zazie, enthousiasmée.
- Eh bien moi, dit la veuve en rougissant un tantinet, je m'appelle madame Mouaque.
Comme tout le monde, qu'elle ajouta."

Oui... sauf que dans la réalité quenesque, il ne s'appelle pas seulement Trouscaillon, mais aussi Pédro-surplus, ou Bertin Poirée. Et c'est un flic. Ou un satyre.
En tout cas, il cause. Comme tout le monde.
... ils causent tous énormément, d'ailleurs, dans ce livre; je dirais même que "c'est tout ce qu'ils savent faire" !

J'ai gardé "Zazie" longtemps sous la main, afin de trouver un bon moment pour en profiter. Mais en commençant, j'avais une fâcheuse impression que c'est le plus mauvais Queneau que j'ai jamais lu. C'était un peu comme quand vous attendez toute l'année l'arrivée de l'été, et après vous râlez, parce qu'il fait beaucoup trop chaud...
Ce n'est pas une histoire d'une petite fille espiègle qui visite son tonton (qui est une tante ?) à Paris, et qui veut voir le métro (qui est en grève).
Zazie est une désagréable peste.

Et j'ai dû tourner un bon nombre de pages avant de comprendre comment le lire - comment absorber ce langage ordurier de la mouflette, ce "meurtre à la hache", ces répétitions incessantes du perroquet...
A vrai dire, j'ai retrouvé toute ma - quenitude ? - à la seconde où j'ai arrêté de me casser la tête si Zazie, oui ou non, aurait mérité une bonne paire de claques !
Et j'ai enfin pu savourer ma lecture...

C'est un livre extrêmement visuel (pas étonnant que le film a été un tel succès !) - une sorte de road movie parisien déjanté qui boucle une boucle pour finir à son point de départ.
Et la force du livre, justement, est que personne ne "la boucle" jamais - c'est une suite de dialogues comiques, absurdes et surréels dans les situations qui pourraient être réelles, mais qui paraissent comiques et absurdes à cause des ces mêmes dialogues. Parfois cela fait penser aux pièces d'Harold Pinter, tellement on est loin de la réalité rassurante et prévisible.
Au moins en apparence - car combien de fois il nous est arrivé à tous de se retrouver dans une situation digne de Queneau, quand on "croit rêver" ?
Saufxe pour de vrai... comme qui dirait Zazie.
Zazie est le personnage central du livre, mais elle n'est pas toujours présente, et on s'en passe étonnement bien.
Mais c'est la seule qui se trouve changée à la fin du périple - elle a "grandi", et elle a enfin (enfin !) trouvé la vérité sur la "hormosessualité".
Grand bien te fasse, Zazie !

Alors, combien d'étoiles je te donne, petite peste à la langue bien pendue ?
Tu vas me dire : "Trois, mon cul", alors d'accord, je t'en donne quatre... mais sache que c'est grâce à Trouscaillon !

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Les écrivains, observateurs de leur temps, « transposeurs » de perception, nous éclairent sur les représentations du statut de l'enfant dans une époque donnée, la leur. Leurs écrits, sont, en effet, toujours des productions en contexte, et quels que soient le propos, le temps et l'espace de la fiction, de leurs oeuvres transpirent toujours une part conjoncturelle, une part de réel.
L'oeuvre de Raymond Queneau, philosophe, romancier et homme de lettres, cofondateur de L'Oulipo, regorge de références explicites à l'époque dans laquelle elle a été élaborée. L'enfant, l'adolescent et le jeune adulte y sont en bonne place.
Zazie dans le métro voit le jour en 1959, à mi-chemin entre la Seconde Guerre mondiale et la révolution de 1968, à l'aube de la Ve République, et de la reconstruction économique qui l'accompagne, sous le gouvernement du général De Gaulle, en pleine guerre d'Algérie.
Chemin faisant, le personnage se nourrit de la reconstruction économique, politique et sociale qui marque l'après-guerre, Zazie est libérée mais pas libre, à l'image de la France de la IVe République, sous laquelle elle voit le jour.
Notre Zazie vit avec son temps, celui d'une France nouvelle, qui s'embourgeoise au rythme de l'American way of life, mais qui porte les stigmates austères de deux guerres mondiales à peine essuyées. En digne enfant du baby-boom, elle aime les « bloudjins » et le soda, autrement dit le rêve américain, mais elle est provinciale, issue d'un milieu modeste qu'on imagine ouvrier. Elle se rend à Paris pour la première fois, à priori, au cours des grandes grèves de 1950. le Paris qu'elle arpentera au cours du roman est celui des petits commerçants d'un quartier populaire du xviiie (on se moquera d'elle quand elle évoquera Saint-Germain), qui mangent désormais à leur faim mais vivent encore de débrouillardises et de petits boulots.
Zazie a une histoire de vie complexe et douloureuse, mais n'en fait ni étalage ni gloriole. Pour elle, tout semble aller de soi, il lui suffit d'une tirade pour exposer les faits, presque sans affects : après que son père, alcoolique, tente de la violer, sa mère l'assassine d'un coup de hache, s'ensuivent d'innombrables procédures judiciaires et pénales. On subodore que Jeanne Lalochère, la mère de notre héroïne, commet ce meurtre dans l'objectif de s'affranchir du joug d'un mari buveur et jaloux, plus que pour venir en aide à sa fille, de qui elle dira, en guise de présentation à son oncle Gabriel, dans les premières lignes du roman : « Voilà l'objet ! »
Nous ne savons que peu de choses de sa vie quotidienne : va-t-elle à l'école, a-t-elle des amis ?… On imagine… Queneau est un écrivain du présent, du sien et de celui de ses personnages. On ne peut que pérégriner avec des personnages loufoques, au fil d'une construction romanesque pourtant classique où l'unité de temps, de lieu et d'action fait face à la fantaisie des dialogues et de la confusion identitaire. Nous n'entendons et ne voyons qu'au travers des mots de Queneau, par la bouche de Zazie. Nous pouvons donc seulement affirmer qu'elle est une petite fille, d'une dizaine d'années, effrontée, dégourdie et curieuse. Son langage et son comportement ne relèvent en rien des bonnes manières, elle maîtrise parfaitement l'argot et les grossièretés. Pour cheminer avec Roland Barthes dans son essai Zazie et la littérature [1] R. Barthes, « Zazie et la littérature », dans Essais... [1] , on notera que Zazie est la garante du langage-objet, celui de l'action et du réel, en lutte contre le méta-langage des adultes, qui n'est que représentation, et état d'âme. On peut poursuivre notre lecture de Barthes et affirmer que la jeune héroïne n'a de l'enfance que l'âge et le questionnement. Elle possède des caractéristiques attribuées habituellement aux adultes : elle est décisionnaire et revendique une certaine autonomie, elle n'est en rien naïve et sait même se montrer soupçonneuse ; ses prises de risques sont le plus souvent opportunistes. du haut de ses 10 ans, elle mène une troupe d'adultes en mal de repères. Sans montrer aucune faiblesse, elle clame à qui veut bien l'entendre qu'elle n'a peur de rien, car, elle, Zazie, en a vu d'autres ! de cette propension à mener, tout en déroutant, le monde adulte, Barthes élèvera Zazie au rang de contre-mythe en évoquant sa jeunesse comme une abstraction, puisqu'elle réunit l'enfance et la maturité, et en postulant que sa fonction est de « dégonfler » la mythologie qui l'environne. Mais de quels mythes parle-t-on au juste ? de la liberté retrouvée, des représentations du monde nouveau, de l'autorité, de l'enfant sage ou délinquant ? À la remarque de sa mère « voilà l'objet », on peut donc s'interroger. Quel objet Zazie peut bien incarner ? Est-ce celui de l'enfant-objet ?
On pourrait plutôt parler d'un enfant sujet, qui semble mener sa vie en dehors de toute autorité ou considérations parentales. Zazie fait son éducation, seule, par elle-même et pour elle-même. Les figures masculines du roman (son oncle, Charles le taximan, Pedro-surplus le flicman, le cafetier) revendiqueront ce souci d'éducation, mais ne parviendront jamais à imposer à la demoiselle aucune marque d'obéissance. Zazie est, certes, indisciplinée, mais personne ne tente réellement de maintenir auprès d'elle quelques règles qui en soient vraiment. Par exemple, l'après-midi même de sa « fugue » dans Paris, son oncle la laisse seule pendant qu'il joue au billard. le taximan tente bien de la raisonner pendant la visite de la tour Eiffel mais il déclarera forfait et prendra la fuite devant son obstination, Pedro-surplus finira lui aussi par oublier la paire de blues jeans. Zazie et son impétuosité inquiètent les rangs de l'autorité, mais elle divertit aussi.
Louis Malle, dans son adaptation au cinéma, nous soumet une allégorie de cette dualité, avec la foule de badauds, qui tour à tour, prennent la défense d'une enfant en détresse, puis accusent une enfant effrontée, le tout dans un joyeux capharnaüm, où Zazie n'est qu'un prétexte aux bavardages.
Devant le peu de constance du monde adulte, on ne sait donc pas si Zazie est autonome par disposition ou par obligation. Elle vit dans un monde encore très marqué par l'idée que les enfants sont des « chenapans » à maintenir sous l'égide d'une éducation rigide et autocrate, sous couvert de bonnes moeurs. Zazie évoquera rapidement les coups que lui donne la maîtresse. Cette situation ne semble pas très bien adaptée au caractère cynique et impétueux de Zazie, qui ne se laisse pas impressionner et fait preuve d'un sens aiguë de la dérision, envers toute forme d'autorité, même la sienne, future maîtresse d'école dans l'objectif unique de « faire chier les enfants ». Elle semble avoir saisi en substance la dialectique hégélienne du maître et de l'esclave, réduite au rang d'esclave elle abolira le discours de faux-semblant de ses pseudo-maîtres par sa pugnacité. Ainsi, devant les hésitations de son oncle quant au patrimoine architectural parisien, elle décrédibilisera l'emphase soudaine de Gabriel et son « Si ça te plaît de voir vraiment le tombeau véritable du vrai Napoléon je t'y conduirai », par un « Napoléon mon cul », bref et irrévocable.
Zazie n'est pas dupe. Et elle évolue également dans une société où les adultes ont vécu la guerre, l'occupation, et la privation. Ils prennent, tant qu'ils peuvent, leur revanche sur la liberté. Il reconstruisent leurs mythes à grand renfort de frasques. Seule parmi des adultes fantaisistes, et parfois absents à eux-mêmes, Zazie doit trouver son ancrage, son étayage dans la réalité, par elle-même. La scène du billard illustrée comme un espace-temps onirique par Louis Malle montre une Zazie errante dans une ville où tout semble succomber au surréalisme et en particulier la joyeuse équipe de joueurs. L'autonomie et la rébellion deviennent alors une question de survie, ne pouvant compter sur la fiabilité des adultes, elle doit faire preuve d'autres ressources. Elle les pioche avant tout dans un insatiable appétit de la nouveauté. Zazie est curieuse de tout, ses principaux intérêts portent sur les choses de la modernité : le métro, les produits américains, mais aussi et surtout sur les questions de sexualité. En somme, Zazie est en quête, la quête d'elle-même et de l'autre par l'expérience et la connaissance. Elle fait parfois des raccourcis mais cerne bien la complexité des « choses de la vie ». Ainsi, elle voit dans chaque homme un satyre potentiel et dans chaque femme une amoureuse possible. L'hétérosexualité ne la surprend pas, elle est chose sue car perçue par elle, mais l'homosexualité reste une grande inconnue. Ce choix sexuel supposé à son oncle par l'inconnu-satyre la questionne durant toute la seconde partie du roman.
Cependant, elle-même semble encore loin d'être « sexuée ». En dehors de la brève question, plus provocante que signifiante, adressée à Charles « et moi je te plairais ? » et de la paire de blues-jeans achetée par l'inconnu aux puces, on ne se sait rien de son physique, ni de ses émois, et Zazie petite fille aurait aussi bien pu être née garçon : cheveux courts, oeil vif et genoux cagneux. Rien d'une Lolita, si ce n'est l'intérêt précoce pour la sexualité.
Queneau ne trace pas de portrait psychologique de ses personnages, leurs personnalités s'expriment davantage dans leurs habitus langagiers et dans leurs actes. Peu épargnée par la vie, elle n'en demeure pas moins joviale, tantôt naïve parce que curieuse, tantôt goguenarde parce que connaisseuse.
Il est évident que la sexualité infantile est au coeur des préoccupations de cette époque. Freud en a déjà, depuis plusieurs décennies, démontré l'existence et les écueils, mais nous sommes entrés dans une démocratisation de ses conceptualisations.
Le personnage de l'hystérique ne surprend plus, et les féministes ont déjà mené à bien des actions importantes, telles que le droit de vote pour les femmes (1945) et celui de l'avortement thérapeutique (1955).
Les questions de l'inceste, de la pédophilie et des « déviances » sexuelles, ne sont pas spécifiques à cette époque. Mais ce qui peut être noté, et ce en partie grâce aux récentes ordonnances sur la protection de l'enfant (1958), c'est qu'il est alors possible d'en parler. Ces sujets restent tabous, mais peuvent d'ores et déjà être traités au fil de l'actualité, de la littérature, etc.
L'adulte est au coeur de ces tabous mais l'enfant y a aussi sa part. En effet, elle semble avoir une conscience aiguë des désirs malveillants de certains adultes, elle en use parfois, mais ne se laisse pas abuser par leurs intentions.
La concupiscence n'est pas vécue comme naturelle, mais bien comme irrévérencieuse. Zazie la tourne en dérision. Elle n'est donc pas cette enfant pure, faible et idéalement naïve. On peut surprendre Zazie comme faisant preuve de subjectivité et d'objectivité, elle est un sujet, elle est partie prenante de l'action qu'elle vit. Elle ne se déresponsabilise pas de son vécu, ne se pose pas en victime de son drame familial, pas plus que ses parents ne passent pour des bourreaux. Il est là question de la vraie vie, quoique fictionnelle, pas du mythe d'une enfant martyrisée, ni de celui d'une enfant provocatrice. Bien qu'elle nous apprenne que la justice l'a secourue, non sans déboires, dans cette sombre affaire, c'est Zazie qui a la parole ; ni son père, ni sa mère, ni la loi ne s'expriment en ses mots. Elle est seule détentrice de sa vérité. Elle est le « je » de son discours.
Mais Zazie, dans sa posture de sujet agissant, ne se constitue-t-elle pas comme objet social, figure stéréotypique des enfants de sa génération ?
Plutôt que l'émanation d'un modèle, il semblerait qu'elle incarne le fait que des enfants puissent être acteurs de leur quotidien et vivre en dehors de l'autocratie parentale. Cette situation peut se transposer à la société elle-même et au fait que des personnes (les grévistes s'en font l'écho discret, dans le roman) souhaitent vivre en dehors d'une dictature d'État et se considèrent seuls aptes à penser leur condition sociale.
Zazie, dans sa révolte, est le reflet d'une société, qui n'est plus ni patriarcale ni matriarcale, mais qui entre dans l'ère de l'individualisme et du consumérisme.
Est-elle pour autant un personnage prophétique, qui annonce les mouvements de 68, l'ère du libéralisme, de l'individualisme, des familles recomposées ?
Lorsque que l'on repense au statut de l'enfant des années 1950, on imagine les écoles de Jules Ferry, à leur apogée, les internats, la non-mixité et le bepc. On imagine moins que ce sont les congénères de Zazie qui manifesteront en 1968, et qui brigueront la révolution culturelle, sexuelle et sociale, déjà en marche explicitement dans les textes de Queneau.
Zazie est bel et bien une petite fille ancrée dans son époque, et c'est l'époque tout entière qui annonce déjà la vague de renouveau des années 1960. Ses goûts pour la mode américaine dénotent déjà l'importance qu'aura la consommation de masse sur les générations suivantes. Ses intempestifs manquements à l'autorité et ses prises de liberté effrontées sont autant de prémices à des comportements permissifs et déresponsabilisants qui s'initient dans les années 1960. La protection de l'enfance est à l'oeuvre depuis peu et accorde à l'enfant toute la pureté et la vulnérabilité qu'on lui suppose encore aujourd'hui, en perdant peut-être de vue que c'est là une représentation d'adulte sur le monde de l'enfance. Avec Zazie, on se retrouve donc dans une situation confuse, où les adultes, tour à tour, la victimisent ou se méfient d'elle, et où, sous couvert de naïveté, une vraie curiosité la tenaille ; et par laquelle elle affirme son autonomie, en ne se contentant pas du peu que son entourage veut bien lui distiller. de cette confusion participent plusieurs inversions identitaires (Marceline/Marcel, Gabriel /la danseuse, Pedros-surplus/le flicman, etc.), en miroir avec la confusion des générations et de leurs perceptions réciproques. Zazie, par sa précocité, met en relief le fait qu'elle soit une enfant se comportant comme une adulte, dans un monde d'adultes se comportant comme des enfants (c'est le contre-mythe de Barthes). La veuve Mouaque ira jusqu'à prier son indulgence et sa compréhension du monde des adultes !
Par ailleurs, ses questionnements sur la sexualité et la dénonciation de la perversion sont autant d'évocations de la révolution sexuelle en marche et des droits et politiques de protection de l'enfant et de la femme.
Zazie annonce l'entrée de notre société dans un monde hétérogène. La guerre a fini de ruiner les vestiges des sociétés dites « traditionalistes » et par le renouveau qui lui fait suite, entraîne un cortège de pluralité, que nous vivons aujourd'hui de l'intérieur.
l'autonomie et donc à une part de liberté et de libre-arbitre. En situant Zazie au coeur des conflits parentaux et sociaux, même s'ils restent anecdotiques, Queneau impose l'idée que cet enfant et sa génération sont porteurs d'un renouvellement des grands principes sociaux, tels que le droit de grève, les droits des femmes et de l'enfance libérale
, qui préexistent, chez Queneau, dans les rapports humains. Zazie incarne l'enfant sujet. Zazie en fait état, dans ses choix, ses goûts, ses aspirations et leurs expressions sans concessions.
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Zazie, une fillette d'une dizaine d'années arrive à Paris avec sa mère. Celle-ci va voir "son Jules "ainsi nommé dans le roman. Zazie est confiée à son oncle Gabriel.
Elle rêve d'emprunter le célèbre métro parisien mais son plan est contrarié. Les travailleurs sont en grève.
Son oncle va lui faire découvrir quelques bâtiments parisiens et pendant ce temps, elle ne va pas se gêner pour poser des questions et faire des réflexions très abruptes. La pleine franchise est affichée.
Le ton de la comédie m'a fait penser aux ouvrages de Daniel Pennac avec sa tribu des "Malaucène".
Raymond Queneau prend cette situation comme prétexte pour laisser libre cours à sa fantaisie langagière. Il dépasse toutes les règles de la langue française.
Pourtant écrit en 1959, on ne peut s'empêcher de faire le rapprochement avec le langage des textos ou des messages twitter.
On lit "lagoçamilébou" pour " la gosse a mis les bouts".
Les doubles consonnes n'existent pas "barrer" devient "barer"
Il oublie les "e" en fin de mots et j'en passe.
C'est un livre que je voulais lire depuis longtemps je peux dire qu'il m'a bien fait rire.
Je le vois parfois catalogué comme roman jeunesse, je n'oserais pas encore le glisser dans les mains de mon petit-fils de 13 ans pour qui l'orthographe présente encore des failles ou alors si,... un petit extrait.
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[...] ... - Pour faire chier les mômes," répondit Zazie. "Ceux qu'auront mon âge, dans dix ans, dans vingt ans, dans cinquante ans, dans cent ans, dans mille ans, toujours des gosses à emmerder.

- Eh bien," dit Gabriel.

- "Je serai vache comme tout avec elles. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses. Parce que je porterai des bottes. En hiver. Hautes comme ça (geste). Avec de grands éperons pour leur larder la chair du derche.

- Tu sais," dit Gabriel avec calme, "d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens-là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension, la gentillesse. N'est-ce pas, Marceline, qu'on dit ça dans le journal ?

- Oui", répondit doucement Marceline. "Mais toi, Zazie, est-ce qu'on t'a brutalisée, à l'école ?

- Il aurait pas fallu voir.

- D'ailleurs," dit Gabriel, "dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça. C'était aussi écrit dans le journal l'autre jour. N'est-ce pas, Marceline ?

- Oui," répondit doucement Marceline.

Zazie envisagea cet avenir un instant.

- "Alors," déclara-t-elle, "je serai astronaute.

- Voilà," dit Gabriel approbativement. "Voilà, faut être de son temps.

- Oui," continua Zazie, "je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens. ... [...]
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- Moi, déclara Zazie, je veux aller à l'école jusqu'à soixante-cinq ans. (...) Je veux être institutrice.
- Pourquoi que tu veux l'être, institutrice?
- Pour faire chier les mômes (...). Je serai vache comme tout avec eux. Je leur ferai lécher le parquet. Je leur ferai manger l'éponge du tableau noir. Je leur enfoncerai des compas dans le derrière. Je leur botterai les fesses.
- Tu sais, dit Gabriel avec calme, d'après ce que disent les journaux, c'est pas du tout dans ce sens là que s'oriente l'éducation moderne. C'est même tout le contraire. On va vers la douceur, la compréhension et la gentillesse. (...) D'ailleurs, dans vingt ans, y aura plus d'institutrices : elles seront remplacées par le cinéma, la tévé, l'électronique, des trucs comme ça.

- Alors, déclara-t-elle, je serai astronaute pour aller faire chier les Martiens.
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Doukipudonktan", se demanda Gabriel excédé. Pas possible, ils se nettoient jamais. Dans le journal, on dit qu'il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bain, ça m'étonne pas, mais on peut se laver sans. Tous ceux-là qui m'entourent, ils doivent pas faire de grands efforts. D'un autre côté, c'est tout de même pas un choix parmi les plus crasseux de Paris. Y a pas de raison. C'est le hasard qui les a réunis. On peut pas supposer que les gens qui attendent à la gare d'Austerlitz sentent plus mauvais que ceux qu'attendent à la gare de Lyon. Non vraiment, y a pas de raison. Tout de même quelle odeur.

Gabriel extirpa de sa manche une pochette de soie couleur mauve et s'en tamponna le tarin.
"Qu'est-ce qui pue comme ça ?" dit une bonne femme à haute voix.

Elle pensait pas à elle en disant ça, elle était pas égoïste, elle voulait parler du parfum qui émanait de ce monsieur.

"Ça, ptite mère, répondit Gabriel qui avait de la vitesse dans la répartie, c'est Barbouze, un parfum de chez Fior.

– Ça devrait pas être permis d'empester le monde comme ça, continua la rombière sûre de son bon droit.

– Si je comprends bien, ptite mère, tu crois que ton parfum naturel fait la pige à celui des rosiers. Eh bien, tu te trompes, ptite mère, tu te trompes.

– T'entends ça ?" dit la bonne femme à un ptit type à côté d'elle, probablement celui qu'avait le droit de la grimper légalement. "T'entends comme il me manque de respect, ce gros cochon ?"
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Debout, Gabriel médita puis prononça ces mots:
- L'être ou le néant, voilà le problème. Monter, descendre, aller, venir, tant fait l'homme qu'à la fin il disparaît. Un taxi l'emmène, un métro l'emporte, la tour n'y prend garde, ni le Panthéon. Paris n'est qu'un songe, Gabriel n'est qu'un rêve (charmant), Zazie le songe d'un rêve (ou d'un cauchemar) et toute cette histoire le songe d'un songe, le rêve d'un rêve, à peine plus qu'un délire tapé à la machine par un romancier idiot (oh! Pardon). Là-bas, plus loin – un peu plus loin – que la place de la République, les tombes s'entassent de Parisiens qui furent, qui montèrent, qui descendirent des escaliers, allèrent et vinrent dans les rues et tant firent qu'à la fin ils disparurent. Un forceps les amena, un corbillard les remporte et la tour se rouille et le Panthéon se fendille plus vite que les os des morts trop présents ne dissolvent dans l'humus de la ville tout imprégnée de soucis.
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Une bourgeoise qui maraudait dans le coin s'approcha de l'enfant pour lui dire ces mots :
- Mais, voyons, ma petite chérie, tu lui fais du mal à ce pauvre meussieu. Il ne faut pas brutaliser comme ça les grandes personnes.
- Grandes personnes mon cul, répliqua Zazie. Il veut pas répondre à mes questions.
- Ce n'est pas une raison valable. La violence, ma petite chérie, doit toujours être évitée dans les rapports humains. Elle est éminemment condamnable.
- Condamnable mon cul, répliqua Zazie, je ne vous demande pas l'heure qu'il est.
- Seize heures quinze, dit la bourgeoise.
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Jacques Jouet & Laurence Kiefé -traduire Harry Mathews - "Les derniers seront les premiers" - à l'occasion de la parution de "Les derniers seront les premiers", d'Harry Mathews aux éditions P.O.L traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Laurence Kiefé et Jacques Jouet , à Paris le 6 février 2024 et où il est question, notamment, de Harry Mathews, de traduction à deux, de contraintes et de haïkus, de Georges Perec et de l'Oulipo, de Raymond Roussel et de Raymond Queneau.
"On peut dire de la plupart des poèmes rassemblés ici qu'ils ont des origines biographiques, imaginaires ou d'ordre procédural. Une fois établies ces catégories simples, il est indispensable de ne pas tarder à les bousculer voire à les détruire. En fait, presque tous ces poèmes entrent dans plus d'une catégorie et parfois dans les trois." Harry Mathews

-"Collected Poems 1946-2016", de Harry Mathews est publié en anglais chez Sand Paper press -"The Solitary Twin", de Harry Mathews est publié en anglais chez New directions -"Case of the Persevering Maltese", de Harry Mathews est publié en anglais chez Dalkey Archive press
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