Acteur, réalisateur, scénariste et…romancier ! le Chilien
Boris Quercia a plus d'une corde à son arc et c'est peu de le dire !
Davantage connu pour ses récits policiers — notamment avec grâce à sa trilogie Santiago Quiñones récompensée par le Grand Prix de Littérature policière en 2016, excusez du peu —
Boris Quercia nous revient aux éditions Asphalte avec un roman de science-fiction quelque part entre Blade Runner et I,Robot dans un univers dystopique qui fait froid dans le dos.
Les rêves qui nous restent, traduit par la regrettée Isabel Siklodi et par son compagnon
Gilles Marie, risque bien de faire parler de lui pour cette rentrée littéraire…
La City et le reste du monde
Dans un futur indéterminé, Natalio, un flic de classe 5 (un « sale clébard » qui fait le sale boulot pour museler les dissidents s'attaquant au pouvoir) se retrouve mêlé à une sombre histoire d'usurpation d'identité au sein d'une des méga-corporations de la City, cette ville gargantuesque où réside l'élite et ceux qui les protègent bien à l'abri de la vieille ville au-dehors et de sa misère.
Durement marqué par les évènements d'Oslo qui ont laissé une trace indélébile dans la société ultra-technologique de la City, Natalio se balade avec un « électroquant », sorte d'androïde de compagnie censé ressembler à son propriétaire et l'aider dans la vie de tous les jours. Un assistant de vie 3.0 en somme qui se met à agir bizarrement alors que Natalio s'enfonce dans les rouages grippés d'une société inégalitaire et devenue dépendante de la technologie. Pendant ce temps, la colère gronde dans la vieille ville et le peuple menace de se soulever une nouvelle fois…
On retrouve dans
Les rêves qui nous restent pas mal d'éléments classiques des futurs dystopiques de la science-fiction classique avec un gouvernement totalitaire, l'oppression des clases aisées à l'encontre des travailleurs pauvres et démunis, des méga-corporations toutes puissantes et, bien sûr, un vent de révolte.
Roman social autant que politique,
Les rêves qui nous restent vaut d'abord pour sa description tout en nuances de gris d'une société où chacun joue son rôle, où le syndicaliste crache sur le corporatiste mais se satisfait pleinement de la situation, où les forces en présence utilisent l'autre à leur guise pour accaparer le pouvoir.
Boris Quercia se révèle particulièrement lucide, ne donne le beau rôle à aucun parti et s'interroge sur l'éternel recommencement de l'oppression, où l'opprimé d'hier devient vite le dictateur de demain.
Pour autant, le roman n'a pas que cette carte à jouer.
Votre santé de demain
Alors que le recueil Demain, la Santé échouait totalement à imaginer une médecine de demain avec des enjeux scientifiques pourtant évidents,
Boris Quercia nous livre une vision terrifiante de notre santé à l'ère de la technologie de pointe. Les maladies sont résolues à partir de votre code génétique et les médicaments fabriqués sur mesure par des ordinateurs quantiques ultraperfectionnés. Seulement voilà, qu'arrive-t-il si l'un de ces ordinateurs déraille et transforme une partie de la population en psychopathes paranoïaques ?
Boris Quercia parle non seulement de l'évolution de le technologie médicale mais aussi de l'influence des organismes privés sur la prise en charge de malades ordinairement délaissées : les patients psychiatriques. Médecine à deux vitesses, difficulté de vivre près d'un proche qui a perdu les pédales, acceptation sociale de la pathologie psychiatrique, le Chilien surprend et donne ainsi de l'épaisseur à son personnage principal, archétype du flic blasé qui n'a plus foi en rien. Natalio reprend un visage humain à travers ses blessures passées et l'histoire tragique de sa femme, Uma. L'autre élément important de cette société science-fictive, c'est le rôle des automates appelés électroquants, employés à tout va dans le soin de la personne âgé démente victime de la solitude ou des patients psychiatriques lourds mis au ban de la société (un peu dans la même idée que le texte Aujourd'hui je suis Paul de
Martin L. Shoemaker). Rapidement, on comprend que le roman n'est qu'un prétexte pour parler des démons intimes de son héros, Natalio, et que l'enquête va rapidement dévier sur l'émergence d'une véritable conscience au sein des machines et son influence sur la société.
La machine consciente
L'électroquant de Natalio va finir par avoir ses propres chapitres et à s'exprimer par lui-même, devenant au fil des pages un individu à part entière par un concours de circonstances influencé directement par l'état social de la City. Même si, en soi, l'émergence d'une conscience chez un être artificiel est un thème archi-rebattu de la science-fiction,
Boris Quercia s'en tire plutôt bien en tissant un véritable lien intime et émouvant entre Natalio et son électroquant, assumant le rôle de double artificiel qui subit lui aussi les affres du doute dans une société broyant l'individu et sa capacité à rêver, à espérer.
Plus précisément, c'est notre dépendance à la technologie et son rôle central dans nos sociétés qu'étudie
Boris Quercia, comment l'omniprésence de la robotique, du quantique et du reste va finalement devenir un paramètre vital pour la pérennité d'une société humaine.
Comment cette technologie et l'avènement d'une conscience artificielle va-t-elle influer sur les rapports de force sociaux ? Une société meilleure n'est-elle pas une société plus humaine ? Pas forcément pour le Chilien qui semble ici condamner l'attitude humaine bassement égoïste d'un monde où le gratuit devient le cheval de Troie de la manipulation et de l'extorsion, où l'on fuit la réalité au sein d'une société appelée « Rêves Différents » qui vampirise nos rêves pour en faire profiter des ultra-riches obsédés par la vie éternelle et se fichent bien des pauvres compilateurs crevant à l'extérieur dans la misère.
Une société meilleure ne serait-elle pas finalement moins humaine ?
Voilà toute la question posée par ce roman court et addictif qui, s'il ne révolutionne nullement le genre, offre d'intéressantes réflexions sur nos sociétés rongées par le capitalisme et dépendantes d'une technologie de plus en plus envahissante.
Le mélange policier/science-fictif du roman de
Boris Quercia ne peut faire oublier le message finalement très actuel et la réflexion sur nos sociétés fracturées entre pauvres et riches où les affrontements semblent souvent bien superficiels politiquement parlant.
Les rêves qui nous restent ne se fait aucune illusion sur l'être humain et suit les différentes chutes de Natalio pour mieux se relever dans un monde en pleine mutation, convoquant des larmes dans la pluie et des espoirs fragiles d'un même geste rageur et salvateur.
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