L’inconvénient d’une dictature, poursuivit-il, c’est que vous êtes à la merci du dictateur, qui vous refuse en général le droit de vous exprimer, d’agir et de penser. Mais il faut voila contrepartie : vous êtres dispenser d’avoir à penser et à agir par vous même. Comme ce doit être reposant ! Nombre de nos contemporains, en secret, ne seraient pas hostiles à l’idée d’être ainsi déchargés de tout effet - décider, choisir, réfléchir ; ils éprouveraient, quoi qu’ils en disent, un grand soulagement, si on annonçait qu’on s’en chargerait désormais pour eux.
Qu’est-ce que la Terre, sinon une chambre à tout casser géante ?
Climatologie. L'humeur du Baron était très tributaire de la météo : il était gai quand il pleuvait, et morose quand le soleil brillait. "Je n'ai jamais compris pourquoi il faudrait être joyeux quand il fait beau. Vu le climat de nos contrées, ne serait-il pas plus logique de l'être quand il pleut ? L'expression même de 'beau temps' devrait être combattue."
Notre existence terrestre est une lutte quotidienne entre le sommeil et la vie.
Souvent, le Baron m'énervait. Il avait tant de tics, de manies, de lubies ! Il me faisait tant de mystères, prenait un tel plaisir à me faire mariner et tourner en bourrique, se comportait si souvent avec moi comme un maître avec un élève, ou Socrate avec un disciple, ou encore un prestidigitateur avec son spectateur ! Or je ne voulais être ni son élève, ni son disciple, ni son spectateur. Je le lui disais, vivement, lorsqu'il me poussait à bout. Il prenait alors un air étonné, comme s'il ne comprenait pas ma colère ; il avait une manière bien à lui de jouer les innocents, qui me mettait au comble de l'exaspération.
On s’y sentait délicieusement bien, comme dans le jardin d’un vieux presbytère – le Baron en y pénétrant ne manquait jamais de déclamer les vers célèbres de Gaston Leroux : Le presbytère n’a rien perdu de son charme, ni le jardin de son éclat.
- Cela ne peut-il pas attendre ?
- Non. En cet instant précis, il est aussi Sartre qu’on peut l’être. Si ça se trouve, d’ici quelques minutes, il aura perdu en sartrité. Il faut le voir maintenant.
J’acceptai, doutant ce pendant qu’un sosie puisse perdre sa ressemblance.
Le Baron se tut, puis ajouta, péremptoire : « Si la nature avait voulu que nous parlions et mangions tout à la fois, elle nous aurait donné deux bouches. »
- A vous entendre, on pourrait croire qu’ils créent des disputes artificielles pour le seul plaisir de venir se réconcilier chez vous, à coups de calva.
- Vous plaisantez, mais je me demande parfois si ce n’est pas le cas.
Je haussai les épaules.
- Et le jour où vous n’aurez plus de calva ?
- Ce sera la guerre civile, je suppose.
Le baron : « Il ne faut jamais perdre une occasion de retomber en enfance. Séjourner dans l’enfance conserve la santé ; je m’y octroie souvent des congés, et voyez : je ne suis jamais malade, je me porte comme un charme.