Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant.
N'était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu'à lui survivre, hélas ! je fusse condamnée ?
ROXANE
Songez-vous que je tiens les portes du palais,
Que je puis vous l'ouvrir ou fermer pour jamais,
Que j'ai sur votre vie un empire suprême,
Que vous ne respirez qu'autant que je vous aime ?
Et sans ce même amour, qu'offensent vos refus,
Songez-vous, en un mot, que vous ne seriez plus ?
BAJAZET
Oui, je tiens tout de vous ; et j'avais lieu de croire
Que c'était pour vous-même une assez grande gloire,
En voyant devant moi tout l'empire à genoux,
De m'entendre avouer que je tiens tout de vous.
Je ne m'en défends point, ma bouche le confesse,
Et mon respect saura le confirmer sans cesse :
Je vous dois tout mon sang ; ma vie est votre bien.
Mais enfin voulez-vous...
ROXANE
Non, je ne veux plus rien.
BAJAZET : Je ne vous dis plus rien. Cette lettre sincère
D'un malheureux amour contient tout le mystère ;
Vous savez un secret que, tout prêt à s'ouvrir,
Mon cœur a mille fois voulu vous découvrir.
J'aime, je le confesse, et devant que votre âme,
Prévenant mon espoir, m'eût déclaré sa flamme,
Déjà plein d'un amour dès l'enfance formé,
À tout autre désir mon cœur était fermé.
Ah! cruel, est-il temps que vous me le disiez?
Qu'avez-vous fait ? Hélas, je me suis crue aimée.