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Richard Parish (Éditeur scientifique)
EAN : 9782070386864
145 pages
Gallimard (06/09/1994)
3.91/5   1368 notes
Résumé :
Bérénice appartient à l'histoire romaine et orientale. Son action est sans violence, son dénouement n'est pas dicté par la passion. Ce n'en est pas moins une tragédie : un personnel de princes et de rois fait son malheur en une série de discours réglés.C'est le personnage le plus dépendant, le moins libre, qui donne son nom à la pièce ; Titus, qui congédie la femme qu'il aime, fait sans cesse un effort douloureux sur lui-même, jusqu'au transport d'héroïsme final. Le... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (96) Voir plus Ajouter une critique
3,91

sur 1368 notes
Cette pièce a une petite histoire et cette petite histoire me semble intéressante à retracer rapidement avant que de parler plus spécifiquement de la pièce en elle-même. Projetons-nous au mois de novembre 1670 au moment de la création de Bérénice : Racine est alors un fringant jeune homme de trente ans, très à la mode et qui vole de succès en succès.

Pierre Corneille, soixante-quatre ans (c'est très vieux pour l'époque), est au pinacle des auteurs tragiques mais c'est une gloire du passé, ses grands succès, Le Cid, Horace, etc. datent de trente ans auparavant (Le Cid fut créé presque trois ans avant la naissance de Racine). Il a certes du prestige mais il est passé de mode.

Ajoutons à cela que l'Hôtel de Bourgogne et le Théâtre du Palais-Royal, les deux principales scènes parisiennes d'alors, se tirent une bourre pas possible pour essayer d'écraser son concurrent. Le hasard faisant que des gens de l'Hôtel de Bourgogne furent au courant que le grand Corneille, sous contrat avec le Palais-Royal, préparait une pièce sur les amours de l'empereur romain Titus et de la reine de Palestine Bérénice, ceux-ci s'empressèrent de commander à Racine une tragédie sur ce même thème.

Sachant que papy Corneille n'avait plus besoin de travailler rapidement et que l'autre s'est fait un devoir de le coiffer sur le poteau, c'est donc Racine qui présente sa pièce en premier, l'intitulant Bérénice — titre que Corneille avait pressenti pour sa pièce — obligeant ce dernier à changer son titre en Tite et Bérénice pour sa propre pièce qui sort tout juste une semaine plus tard dans le théâtre concurrent.

L'histoire retient donc une victoire totale de Racine, pigeonnant son aîné, et remportant plus de succès que celui-ci. Cet état de fait poussent beaucoup à considérer l'œuvre de Jean Racine comme très supérieure à celle de Pierre Corneille. Mais, m'étant aventurée à comparer ces deux pièces, je ne partage pas du tout cet enthousiasme unilatéral.

Certes je ne suis pas là pour comparer les deux œuvres qui d'ailleurs se répondent et se complètent bien plus qu'elles ne se marchent sur les pieds. Mais je ne vois nulle part où la versification racinienne serait tant supérieure à celle de Corneille ni en quoi sa gestion de l'intrigue surclasserait celle de son aîné. Je crois plutôt à un effet de mode qui fait long feu, sachant que les effets de mode de 1670, vus de notre fenêtre de l'an 2015, ont un petit quelque chose de risible.

Bérénice est donc, selon moi une très bonne tragédie, pas la meilleure de son auteur, pas la moins bonne non plus, un bon cru mais pas davantage. L'écriture de Racine reste un vrai bonheur et j'encourage vivement ceux qui n'ont jamais goûté cette écriture à, ne serait-ce qu'une fois, venir y poser leurs lèvres afin d'en mesurer l'arôme.

Titus est un empereur romain du Ier siècle de notre ère et Bérénice, la petite fille du roi Hérode de Judée. Si la presse people avait existé à l'époque, nul doute que Titus aurait éclipsé même jusqu'à la famille princière de Monaco tant les lumières de son règne, tant les légendes qui l'accompagnent sont nombreuses et romantiques.

Voilà un débauché qui devint vertueux à la mort de son père Vespasien et qui, subitement investit d'une moralité nouvelle liée à sa prise de pouvoir dans l'Empire se transforme en homme vertueux. Lui qui aimait une Juive et qui ne s'en cachait pas, lui qui l'adorait, pour l'amour de Rome, préfère sacrifier son amour que de déplaire à son peuple, etc., etc., je vous laisse consulter si le cœur vous en dit une biographie du Titus en question.

Voici cependant, un remarquable sujet de tragédie : un amour véritable et réciproque, devenu impossible sans l'entremise de personne autre que Rome elle-même et la charge d'empereur. Un empereur aux abois, une reine étrangère chargée de fantasmes exotiques bafouée pour raison d'état. Le menu est prometteur…

Ajoutons à cela le rôle — loin d'être mineur — d'Antiochus. Celui-ci est également roi, dans un petit royaume contigu de celui de Bérénice ; il brûle d'amour pour elle depuis belle lurette. Il est le fidèle serviteur de Titus, il aime Bérénice dans l'ombre sans jamais lui en faire, mais il commence à en avoir assez de tenir la chandelle alors il vient faire ses adieux à Bérénice en lui confiant une dernière fois qu'il l'aime, qu'il l'adore et que bien plus encore…

Mais Bérénice est ailleurs, vous pensez bien : un empereur qui l'aime et qu'elle aime doit lui faire sous peu une demande en justes noces, alors, vous imaginez ce qu'elle s'en tamponne des états d'âme d'Antiochus, même si c'est un bon ami : au revoir, portez-vous bien et à un de ces jours.

Antiochus en a le cœur dévasté mais Titus, en confident, lui avoue qu'il ne pourra demeurer avec Bérénice et qu'il lui demandera donc de repartir chez elle, en lointaine Palestine. Il le charge même d'une redoutable besogne : aller lui annoncer que Titus la quitte et qu'elle en sera quitte pour un aller simple direction Jérusalem.

En somme, résumons-nous : Antiochus aime Bérénice, mais elle n'en veut pas ; Titus aime Bérénice mais il n'en veut plus ; Bérénice aime Titus qui l'aime aussi mais qui l'envoie paître… vous voyez ce que je vois ? Eh oui, si mademoiselle Bérénice avait le bon goût de tourner la barre à 180° et d'aller lorgner du côté d'Antiochus, tout se goupillerait bien. Alors ?… alors ?…

Alors je vous laisse le soin de découvrir le fin mot de la pièce par vous même et me dépêche d'ajouter que cette critique un peu tirée par les cheveux (pas la chevelure de Bérénice, qui elle est une homonyme et était reine d'Égypte au IIIème siècle avant J.-C.) ne représente que mon avis, c'est-à-dire, très peu de chose.
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On a beau se dire qu'aujourd'hui l'affaire serait expédiée en un quart d'heure tout au plus, trois ou quatre mots suffiraient, cependant ces choses sont exprimées dans la belle langue de Racine et il faut cinq actes d'une tragédie pour y parvenir.
Ces choses, mais quelles sont ces choses si difficiles à dire, pour lesquelles il faut user de l'élégance des mots et du souffle d'une tragédie pour les clamer ?
Car derrière le rideau de cette intrigue, nous avons bien à faire à une tragédie, même si Racine nous évite du sang sur les murs, des cadavres qui jonchent le sol, la seule violence ici présente est celle des passions exacerbées...
Donc, résumons cette histoire de billard à trois bandes puisqu'il s'agit d'un triangle amoureux...
Bérénice aime Titus, qui aime Bérénice. Antiochus aime Bérénice, mais la réciproque n'est pas vraie. Elle lui voue seulement une amitié, tandis que lui continue de l'aimer secrètement.
Hélas ! Tous les chemins de l'amour ne mènent pas à Rome.
Titus vient de succéder à Vespasien en tant qu'empereur sur le trône romain, mais celle qu'il aime est reine de Judée et les lois de Rome empêchent cette union, non pas qu'elle soit juive mais parce qu'elle est reine et étrangère.
Or Titus se dérobe au dernier moment pour avouer à Bérénice que leur amour sera sacrifié sur l'autel de la raison d'État.
Titus confie alors à son allié et confident, Antiochus lui-même roi, du royaume de Commagène, la charge d'aller dire à la belle son impossible mariage et de la ramener illico presto dans son royaume de Palestine.
On a beau être empereur de Rome, avoir fait toutes les guerres pour protéger l'empire, on n'est guère téméraire pour regarder la femme qu'on aime depuis cinq ans, l'affronter dans les yeux, craindre ses larmes et lui avouer que, désolé chérie ! les contingences politiques, tu sais ce que sait, elles imposent des devoirs qui ignorent le coeur. Allez ! Fais ta valise et surtout, pas de scandale !
On a beau être empereur, on n'en mène pas large dans certaines situations ! Quel comble pour un personnage de la stature de Titus, de ne pas savoir poser des actes ! Il lui en faudra quatre pour le lui dire !
La décision est sans doute déjà prise et le dilemme n'est peut-être pas de savoir si Titus va renoncer ou non à Rome pour le coeur et les beaux yeux de l'aimée, mais plutôt tout au long de la tragédie : comment, bon sang, vais-je le lui annoncer ? Comment trouver les mots pour se dire qu'on se quitte pour jamais ?
La faiblesse, la lâcheté de Titus l'auront donc conduit à attendre quatre actes pour déclarer l'impossible mariage et en passant par des biais tortueux. Bérénice s'en indigne bien sûr, elle a raison de lui rétorquer qu'il connaissait les lois de Rome lorsqu'il l'aima la première fois, c'était il y a cinq ans... C'est vrai, quoi !
D'autres pour le coeur de Bérénice auraient renoncé à l'Empire.
Les exemples célèbres sont multiples, ne serait-ce que celui du roi Edward VIII qui abdiqua pour pouvoir épouser la belle roturière américaine Wallis Simpson.
On connaît aussi des souverains qui ont su s'en accommoder. Si l'on observe un éventail large, au hasard depuis Louis XIV jusqu'à François Mitterrand, les exemples sont nombreux... Mais peut-être ainsi Titus dans sa bonté a su protéger Bérénice d'un autre mal plus dévastateur : les affres de la jalousie d'une maîtresse qui serait demeurée terrée dans l'ombre.
Et alors, je me suis demandé si Titus aimait vraiment Bérénice. Qu'en pensez-vous ?
On pourrait se dire que tout ceci va jouer en faveur d'Antiochus, que son heure est enfin venue. Mais il ne suffit pas que Rome dise non à cette union et congédie Bérénice en Palestine pour qu'aussitôt la belle souveraine saute au cou d'Antiochus. Et puis, ce serait un amour misérable ! Mettez-vous un instant à la place de l'un et de l'autre... !
J'ai découvert dans les vers de Racine une langue somptueuse, mais j'ai trouvé qu'il y avait autre chose chez ce poète tragédien : un art subtil dans cette attente de l'aveu ultime, un suspense qui tient le spectateur en haleine dans ce conflit entre le devoir et le coeur, entre la passion et la raison...
Je me suis laissé imprégner par cette langue sonore, sensuelle, déroutante au début de ma lecture, inhabituelle pour moi. J'y suis revenu à plusieurs reprises, je revenais sur certains fragments du texte pour le simple plaisir de les relire. J'ai aimé ces vers sublimes qui s'entrechoquent, au risque de se briser, dans les vertiges et les déchirements de la passion amoureuse, qui se nouent et se dénouent dans un équilibre sans cesse fragile. C'est comme un chant incantatoire... Et comme c'est du théâtre j'essayais d'imaginer les gestes, les regards, les bouches, les corps qui pouvaient habiter cette émotion. Corps tendus qui tremblent, ployés, déployés, qui brûlent...
J'ai eu un faible pour ce pauvre Antiochus, en souvenir peut-être des quelques fois où j'ai dû tenir la chandelle moi aussi... Mais je vous parle d'un temps... Antiochus est le personnage que je préfère, c'est le plus respectueux, le plus intègre, bien que les autres au fond n'aient rien à se reprocher, son amitié est fidèle à l'un comme à l'autre... Il est touchant, figure tragique de cette pièce, au rôle si ingrat, sans lui les deux autres personnages n'existeraient sans doute pas de la même manière, mais je dis cela, hein ?!
Mais plus que tout, j'ai aimé Bérénice. Bon un troisième qui l'aime, me direz-vous ? On n'est plus à cela près. Mais voyez-vous, ceux qui me connaissent savent que je tombe vite amoureux des personnages féminins atypiques, en marge de l'ordre établi par les hommes, que je rencontre dans mes lectures.
Je l'ai aimée malgré ses plaintes et ses larmes à n'en plus finir, malgré les chantages qu'elle exprime, malgré son désir de dominer... Mettez-vous à sa place dans cette trahison indigne et douloureuse qu'elle subit... Elle est pour moi l'Orient, l'étrangère, celle qui ne trouvera pas sa place, celle qu'on répudie, qu'on ramène chez elle comme devenue une intruse... Vous imaginez le comité d'accueil à l'arrivée là-bas chez son peuple qui s'est fait massacré par Titus qui l'a aimée et qu'elle a aimé pendant cinq ans ! Non, impossible... Alors j'ai imaginé une Bérénice en exil sur les routes... Personne n'en a jamais parlé, personne ne s'est inquiété de savoir ce qu'il a pu advenir d'elle...
Peut-être cela a-t-il fait l'objet d'une autre histoire, d'un autre récit... Qui sait ?
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L'histoire même de la création de cette tragédie nous rappelle les temps classiques glorieux où les grands auteurs rivalisaient à l'envi. Ainsi le vieux Corneille avec Tite et Bérénice lutta contre le talentueux Racine et sa pièce Bérénice. Un temps où un beau poème, une belle tragédie ou comédie comptaient énormément dans la cour du roi Soleil ainsi que pour le public.
Racine a choisi cette fois une histoire romaine pour créer cette tragédie qui est parmi les plus connues de ses pièces. Un amour impossible entre le grand Titus et Bérénice la reine de Palestine. Les personnages doivent faire un choix difficile mais acceptent la séparation (la pièce nous y prépare) sans avoir recours à la mort « tragique ».
Racine est un poète qui sait bien dompter son vers et sa rime pour nous enchanter. On retrouve tout son art dans cette tragédie ; toutes ces belles expressions qui sont devenues de vraies aphorismes de l'amour et de la séparation douloureuse. Ces vers résument l'intrigue en quelque sorte et illustrent cette grandeur poétique racinienne :
Titus
J'espérais de mourir à vos yeux,
Avant que d'en venir à ces cruels adieux.
Bérénice
Eh bien ! régnez, cruel, contentez votre gloire :
Je ne dispute plus. J'attendais, pour vous croire,
Que cette même bouche, après mille serments
D'un amour qui devait unir tous nos moments,
Cette bouche, à mes yeux s'avouant infidèle,
M'ordonnât elle-même une absence éternelle.
(Acte IV, scène 5)
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Bérénice est une tragédie du XVIIème siècle dans laquelle Jean Racine met en scène trois personnages aux amours contrariées.Titus, empereur de Rome et Bérénice, reine de Palestine s'aiment et veulent se marier mais la convenance devant le peuple Romain les en dissuade. Titus fait un choix, non sans doutes et sans souffrances, celui de privilégier le règne et la gloire en toute légitimité au détriment de son amour pour Bérénice. Cette orientation s'avère complexe et génératrice de bien des douleurs.
Parallèlement à cela, Antiochus, roi de Comagène et ami de Titus avoue et libère son amour gardé secret pour Bérénice sans y trouver la réciproque.
Que la passion peut rendre malheureux !
Cette pièce de théâtre est magistrale, le contenu magnifique et les textes sublimes.
A lire et à relire avec délice.
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Bérénice, tragédie versifiée en 5 actes de Jean Racine (poète tragique du XVII° siècle, membre de l'Académie française auteur de Phèdre, Andromaque, Britannicus...)conte l'amour absolu (mais impossible car "l'hymen chez les Romains n'admet qu'une Romaine") entre Titus (nouvel Empereur de Rome suite au décès de son père) et Bérénice, reine étrangère). Elle fut jouée en même temps que Tite et Bérénice de Corneille, mais eut plus de succès.
Paradoxe éternel, le choix n'est que souffrance ( puisque à l'encontre d'Antoine "qui oublia sa gloire et sa patrie" pour Cléopâtre) Titus, par devoir, bien qu'amoureux, généreux et sensible, choisit (à contre coeur) sa mission vis à vis de Rome ("Pourquoi suis-je empereur? Pourquoi suis-je amoureux?") et sacrifie du même coup sa fidèle, radieuse et belle maîtresse éperdue d'amour qui va se désespérer (" Pour jamais! Ah! Seigneur, songez -vous en vous-même/ Combien ce mot cruel est affreux quand on aime?").
Racine suit dans cette pièce les règles du théâtre classique puisque l'unité de lieu (Rome), d'action (l'amour) et de temps (le drame se passe un jour durant) sont préservés et que cette pièce n'est pas choquante pour le public.
On peut noter: la musicalité des mots, le trio amoureux (se rajoute le prince et ami Antiochus, amoureux transi et honnête qui s'efface: "D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour") qui relance l'intrigue, la bonne étude psychologique des personnages, le riche registre émotionnel (amour,incertitude,désespoir,espoir,tristesse,rage, ressentiments...)
Bien que cette tragédie me paraisse un peu désuète de par l'emphase de ses déclamations ( "Ah lâche!"... '"Ah! Bérénice!"...Ah prince malheureux!"..."Ah! Seigneur"...) et ses "funestes adieux", les thèmes forts de l'amour absolu, du renoncement, de l'absurdité d'un destin pouvant entrainer la mort, font de Bérénice un classique incontournable.
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Citations et extraits (188) Voir plus Ajouter une citation
BÉRÉNICE.

(...)
Hé bien, il est donc vrai que Titus m'abandonne ?
Il faut nous séparer. Et c'est lui qui l'ordonne.

TITUS

N'accablez point, Madame, un prince malheureux ;
Il ne faut point ici nous attendrir tous deux.
Un trouble assez cruel m'agite et me dévore,
Sans que des pleurs si chers me déchirent encore.
Rappelez bien plutôt ce coeur, qui tant de fois
M'a fait de mon devoir reconnaître la voix.
Il en est temps. Forcez votre amour à se taire,
Et d'un oeil que la gloire et la raison éclaire,
Contemplez mon devoir dans toute sa rigueur.
Vous-même contre vous fortifiez mon cœur.
Aidez-moi, s'il se peut, à vaincre sa faiblesse,
À retenir des pleurs qui m'échappent sans cesse.
Ou si nous ne pouvons commander à nos pleurs,
Que la gloire du moins soutienne nos douleurs,
Et que tout l'univers reconnaisse sans peine
Les pleurs d'un empereur, et les pleurs d'une reine.
Car enfin, ma Princesse, il faut nous séparer.

BÉRÉNICE

Ah cruel ! est-il temps de me le déclarer ?
Qu'avez-vous fait ? Hélas ! Je me suis crue aimée.
Au plaisir de vous voir mon âme accoutumée
Ne vit plus que pour vous. Ignoriez-vous vos lois,
Quand je vous l'avouai pour la première fois ?
À quel excès d'amour m'avez-vous amenée ?
Que ne me disiez-vous : Princesse infortunée,
Où vas-tu t'engager, et quel est ton espoir ?
Ne donne point un coeur, qu'on ne peut recevoir.
Ne l'avez-vous reçu, cruel, que pour le rendre
Quand de vos seules mains ce coeur voudrait dépendre ?
Tout l'empire a vingt fois conspiré contre nous.
Il était temps encor. Que ne me quittiez-vous ?
Mille raisons alors consolaient ma misère.
Je pouvais de ma mort accuser votre père,
Le peuple, le Sénat, tout l'empire romain,
Tout l'univers plutôt qu'une si chère main.
Leur haine dès longtemps contre moi déclarée,
M'avait à mon malheur dès longtemps préparée.
Je n'aurais pas, Seigneur, reçu ce coup cruel
Dans le temps que j'espère un bonheur immortel,
Quand votre heureux amour peut tout ce qu'il désire,
Lorsque Rome se tait, quand votre père expire,
Lorsque tout l'univers fléchit à vos genoux,
Enfin quand je n'ai plus à redouter que vous.

TITUS

Et c'est moi seul aussi qui pouvais me détruire.
Je pouvais vivre alors, et me laisser séduire.
Mon coeur se gardait bien d'aller dans l'avenir
Chercher ce qui pouvait un jour nous désunir.
Je voulais qu'à mes voeux rien ne fût invincible,
Je n'examinais rien, j'espérais l'impossible.
Que sais-je ? J'espérais de mourir à vos yeux
Avant que d'en venir à ces cruels adieux.
Les obstacles semblaient renouveler ma flamme.
Tout l'empire parlait. Mais la gloire, Madame,
Ne s'était point encor fait entendre à mon coeur
Du ton dont elle parle au coeur d'un empereur.
Je sais tous les tourments où ce dessein me livre.
Je sens bien que sans vous je ne saurais plus vivre,
Que mon coeur de moi-même est prêt à s'éloigner.
Mais il ne s'agit plus de vivre, il faut régner.

(IV, 5)
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ANTIOCHUS : Hé bien, Antiochus, es-tu toujours le même ?
Pourrai-je, sans trembler, lui dire : « Je vous aime ? »
Mais quoi ? déjà je tremble, et mon cœur agité
Craint autant ce moment que je l'ai souhaité.
Bérénice autrefois m'ôta toute espérance ;
Elle m'imposa même un éternel silence.
Je me suis tu cinq ans, et jusques à ce jour
D'un voile d'amitié j'ai couvert mon amour.
[…]
Quel fruit me reviendra d'un aveu téméraire ?
Ah ! puisqu'il faut partir, partons sans lui déplaire.
Retirons-nous, sortons ; et sans nous découvrir,
Allons loin de ses yeux l'oublier, ou mourir.

Acte I, Scène 2 : (v. 19-26 et 31-34).
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PAULIN : La cour sera toujours du parti de vos vœux.
TITUS : Et je l'ai vue aussi cette cour peu sincère,
A ses maîtres toujours trop soigneuse de plaire,
Des crimes de Néron approuver les horreurs;
Je l'ai vue à genoux consacrer ses fureurs.

Acte II, Scène 2 : (v. 350-354).
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ANTIOCHUS : Vous sûtes m’imposer l’exil, ou le silence :
Il fallut le promettre, et même le jurer.
Mais puisqu’en ce moment j’ose me déclarer,
Lorsque vous m’arrachiez cette injuste promesse,
Mon cœur faisait serment de vous aimer sans cesse.
BÉRÉNICE : Ah ! que me dites-vous ?
ANTIOCHUS : Je me suis tu cinq ans,
Madame, et vais encor me taire plus longtemps.

Acte I, Scène 4 : (v. 204-210).
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Tes adieux sont-ils prêts? T'es-tu bien consulté?
Ton cœur te promet-il assez de cruauté?
Car enfin au combat qui pour toi se prépare
C'est peu d'être constant, il faut être barbare.
[…]
Je viens percer un cœur que j'adore, qui m'aime;
Et pourquoi le percer? Qui l'ordonne? Moi-même.

Acte IV, Scène 4 : (v. 989-992 et 999-1000).
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