Les gens pouvaient presque être induits en erreur et s’imaginer qu’un vrai paysan vivait désormais à Neshov. Quelqu’un qui misait tout, qui osait et investissait même dans un mât de drapeau majestueux.
Cette femme disait toujours tout haut et d’une voix perçante ce que tout le monde pensait tout bas ou évitait d’évoquer, que ce soit la mort, les odeurs ou bruits corporels des autres. Elle y allait franco et tous les autres se retournaient en ouvrant de grands yeux.
-... Il y a pires ici sur terre.
- Les gens ne passaient pas leur temps à comparer leurs traumatismes avec ceux des autres. Si on était traumatisée, on l'était, un point c'est tout, et ça n'aidait en rien de penser que pour d'autres c'était pire encore. On pouvait le dire, prétendre que la souffrance des autres rendait son propre désespoir plus facile à porter, mais ce n'était que des mots et de la connerie, ça ne marchait pas comme ça.
Il était trop tard pour ficher le camp. La fuite la plus longue qu’elle pourrait désormais se permettre, ce ne serait que dans son sommeil. Ou dans un verre de cognac.
Elle regarda s’il portait une alliance ; elle ne s’était pas trompée, elle la vit quand il changea de prise sur le mât. L’alliance, fine et usée, s’enfonçait dans la chair du doigt. Il y avait donc une femme qui, chaque matin, se réveillait à côté de lui. Tout le monde a quelqu’un, pensa-t-elle, même cet homme désagréable avec les poils qui lui sortent du nez.
Les personnes âgées n’aiment pas les légumes, et encore moins quand c’est pour faire joli sur la nourriture ; tout le monde sait bien que les personnes âgées préfèrent le sucré.