Citations sur Le roi au-delà de la mer (9)
‘’Quand on représente une cause (presque) perdue, il faut sonner de la trompette, sauter sur son cheval et tenter la dernière sortie, faute de quoi l’on meurt de vieillesse triste au fond de la forteresse oubliée que personne n’assiège plus car la vie s’en est allée ailleurs.’’
‘’Vous êtes donc jeune aussi, Monseigneur, un peu plus de dix-huit ans, tout de même, vingt-cinq, sans doute, trente, peut-être, guère au-delà. Passé cet âge, on se met à peser chacun de ses actes, on brime son cœur, on tue son âme, on se trahit à chaque instant, car nul ne peut mener sa vie autrement en ces temps qui sont les nôtres.’’
Ridicules et indécents étaient donc ces vingt jeunes gens agenouillés sur les dalles brisées, un ciel de lune en guise de toit, écoutant avec ferveur l’officiant qui prononçait en français (n’aggravons pas votre cas Monseigneur) la première des trois oraisons pour le roi du missel catholique romain : « Faites, Dieu tout puissant, que votre serviteur notre roi Philippe Pharamond, qui par votre grâce a assumé le gouvernement du royaume, reçoive un accroissement de toutes les vertus ; qu’il évite l’horreur du vice et puisse parvenir heureusement jusqu'à vous qui êtes la voie, la vérité et la vie. Par notre Seigneur Jésus-Christ, votre Fils qui étant Dieu, qui vit et règne… ». Et tous les visages se sont tournés vers vous. Plus rien ne comptait, le passé, le présent, même l’avenir. Le royaume n’est pas de ce monde. Il ne l’a jamais été. C’est pourquoi le roi existe. Procédant de l’ordre divin, il n’est que la préfiguration de l’espérance transmise de souverain en souverain. Irréel instant, certes, mais de quoi avons-nous besoin, à présent, dans ce pays qui s’éloigne de nous si ce n’est de ces moments là…
Je n’arrive pas à comprendre — ou parfois je comprends trop bien mais je ne veux pas vous entraîner là, Monseigneur — pourquoi des hommes et des femmes, des Français, au niveau le plus élevé des pouvoirs et de la réflexion, là où se décide notre destin national, pourquoi ils s’acharnent à détruire ouvertement ou sournoisement, les piliers déjà vermoulus qui soutiennent encore notre vieux peuple.
On peut vivre aussi de mythes. Quelqu'un se demandera peut-être un jour lointain ce qu’est devenu ce roi qui avait choisi l’exil pour ne pas se perdre dans l’inanité quotidienne. On racontera qu’une lumière brille toute la nuit à la fenêtre de votre chambre et que des vaisseaux inconnus, tous feux éteints, viennent saluer votre pavillon…
Le héros aux neuf prénoms de ce roman, qui est votre homonyme, Monseigneur, tenait de son défunt père quelques vérités essentielles, mais exprimées à l’ancienne : Que le roi règne sur le pays avant de régner sur la population d’un royaume. Que se borner à régner sur la population d'un royaume, c’était renoncer à l’aspect cosmique de la royauté… Que le vrai roi se veut roi des champs et des forêts, des lacs et des montagnes, des moutons et des sangliers, des biches et des truites. Que le vrai roi est partout chez lui. Que ce n’était pas une question de propriété : le roi ne possède pas son pays dans la dispersion des meubles et des immeubles ; il est en soi-même le pays dans l’unité de l’incarnation… Que la royauté ne repose pas sur l’avoir mais sur l’être, etc.
Le sacré, voilà toute l’affaire. Je devrais même écrire : voilà toute l’histoire. Elle complique sérieusement votre cas. C’est l’onction divine plus encore que l’héritage — les deux étant consubstantiels — qui faisait les rois de France.
Un mot encore, Monseigneur.
On pourrait croire, à me lire, que vous représentiez le passé. N'est-ce pas l'avenir, au contraire, que vous annoncez ? Face au nouvel « ordre » mondial qui s'avance, le devoir d'insurrection...
Votre royaume est double Monseigneur. Il y a le royaume visible, un peuple et un territoire. Vous n'en êtes plus le roi, vous n'en êtes pas le roi, vous n'en serez sans doute plus jamais le roi. Et il y a le royaume invisible, celui qui n'a ni terres ni frontières, ce qui est un élan de l'âme. Celui-là est le fondement de l'autre et c'est pour le moment le seul qui vous reste. Ne le risquez pas dans la cohue et la confusion. Emportez-le avec vous en exil.