5 ETOILES.
(je ne sais par quel miracle ou fausse manipulation un peu plus de trois étoiles ont été mentionnées).
Je remercie Albin Michel mais aussi Babelio. Ils m'ont adressé ce livre dans le cadre de Masse critique privilégiée. Sur le coup je me suis dit que j'avais beaucoup de chance de traverser le paradis. En fait j'ai côtoyé le très-bas. Merci à eux de m'avoir permis de mesurer ma capacité à assumer cette lecture jusqu'au bout et de témoigner : Un beau roman n'est pas toujours un pur moment de détente.
La confusion, le désordre, la douleur dans lesquels je me suis engagée volontairement me laissent encore un brin de lucidité pour me dire que oui, j'ai la chance de ne pas avoir vécu à cet endroit, à cette époque précise.
Au coeur de la nuit je confie mon ressenti sur cet ouvrage cette période terrifiante ou parler demeure un risque, aimer n'est pas de bon augure et espérer malheureusement vain. . Durant ces longues heures de lecture j'ai suivi les personnages propulsés entre les entrailles de l'enfer et les modestes remontées lumineuses qui ne mènent nulle part ou presque ! .
Russie. 1917. Régime Tsariste renversé. 1920. Révolution bolchévique.
Lénine. Trotski. Staline. Armée rouge. Dictature du Prolétariat. Camps. Famine. Micros. Traque. Misère. Arrestation .Compromissions. Dénonciations. Supplices. Calculs. Manipulations. Famine, Arrestation. Camps. Misère. Pain noir. Privations. Camps. Supplices……Faim, prostitution, supplices, espionnage. Rien. Misère. Liberté, Jamais. Néant. Peur, Toujours. Toujours…... Souffrir toujours. Non plus jamais. Finir. Partir. Mourir.
« C'est une formidable leçon de vie, non ? On découvre enfin la condition de nos semblables. Tous dans la merde : c'est ça, la véritable égalité entre les hommes. »…… « Alors, je le dis, je le proclame : la Révolution, c'est un monstrueux cauchemar. » (Page 460)
C'est dans ce contexte violent que l'auteur,
Antoine Rault a choisi de tremper sa plume. J'ai rencontré Karl Radek, Djerzinski, Tchicherine et bien d'autres camarades de
Lénine.
Qu'ils aient été commandités par le diable en personne je ne suis pas loin de le penser.
Antoine Rault a démontré la force d'un régime oppressif révolutionnaire, la force d'un groupe d'hommes s'appuyant sur un idéal, sur les propos d'un tribun, sur leur pouvoir soudain, pouvoir dont ils abusaient ou sur la peur qu'ils suscitaient. Les 550 pages de ce roman racontent une belle histoire avec comme toile de fond Moscou « Meurtrie et misérable …… dévastée », habitée par un peuple asservi au coeur duquel règne le régime bolchévique en maître absolu.
Oui c'est une belle histoire qui nous est racontée. L'histoire de Charles, le personnage principal, autour duquel se greffent d'autres combats, d'autres situations tout aussi réalistes, d'autres profils tout aussi convaincants, tout aussi attachants ou méprisables.
J'ai été invitée à le suivre Charles, à être témoin de ses doutes, de ses émotions les plus intimes, de ses rencontres les plus improbables. Il n'est pas Russe mais il veut être là. « Ça sent l'urine, les excréments et les ordures » mais c'est son choix. « Un cadavre gît contre terre, corps décharné flottant dans un vieux manteau, l'air d'un épouvantail renversé », mais c'est à Moscou qu'il doit être. « Parce que l'absence rend l'amour idéal » il résistera contre tous !
Avant de conclure je me dois de parler du style d'
Antoine Rault, qui ne peut laisser indifférent. Un livre rythmé soutenu par des phrases courtes, des explications claires et des idées bien campées font du récit un torrent limpide, bouillonnant et documenté. Les dialogues animent les personnages malgré la mort qui rôde.
Mais le tour de force de l'auteur, à mon avis, est d'avoir ancré des passages de pure poésie au milieu de ce fatras de désolation, comme si, ayant conscience de nous avoir bousculés, il nous offrait régulièrement une respiration. Et quelles respirations ! jugez plutôt :
« La Fontanka. Les eaux de la rivière dansent et se dressent en petites vagues tranchantes comme des lames d'argent, soulevées par un vent chargé d'humidité salée. Des nuages de feutre épais, gris ou noirs, étirent des ombres menaçantes sur les toits des demeures aristocratiques. Il pourrait y avoir un orage ».
Cinq étoiles pour ce roman qui m'a convaincue une fois de plus qu'il vaut mieux ne pas se laisser gagner par une douce torpeur. Les années, les siècles se succèdent. Comme Dieter un des personnages "maintenons une petite aiguille au creux de notre ventre qui, comme celle d'une boussole, nous rappelle la direction à suivre. C'est un appel lancinant qui prend irrésistiblement l'ascendant sur la voix lasse de nos conscience. »