Citations sur L'enfer de la curiosité (12)
Le romancier sait qu’il faut prendre ses distances à l’égard du réel ; le romancier réaliste sait qu’il faut les prendre courtes, qu’il est une distance du réel au-delà de laquelle aucun roman n’est valable.
Pourquoi accorde-t-on tant de respect aux hommes morts, aux chefs militaires et à leurs soldats alors qu’en un siècle aussi avancé que le nôtre, c’est par le dédain qu’on traite artistes, poètes, peintres, musiciens, sculpteurs et architectes ? Les rois leur jettent des croix, des rubans, hochets dont la valeur baisse tous les jours, distinctions qui n’ajoutent rien à l’artiste…
Il en est de même du nom de Mme de Guermantes ; il donne du mystère à une dame qui n’en a guère ! Pour le narrateur, il ne suffit pas que les paroles qu’elle prononce soient « fines, belles et profondes », il est nécessaire qu’elles soient accompagnées en quelque sorte de leur musique, et de leur couleur, afin "qu’elles reflétassent cette couleur amarante de la dernière syllabe de son nom ».
Même un prénom peut gonfler l’imagination du romancier et excitant ses fantasmes se métamorphoser en simple objet.
Les événements de la vie humaine, soit publique, soit privée, sont si intimement liés à l’architecture, que la plupart des observateurs peuvent reconstruire les nations ou les individus dans toute la vérité de leurs habitudes, d’après les restes de leur monuments. (Balzac, la Recherche de l’Absolu).
A force de lecture, souvent à tort, quelquefois à travers, il s’en est suivi des constations surprenantes.
Mais un peu de patience ! D’ici à quelques lustres, il suffira d’introduire dans un ordinateur mes mots clefs préférés : objet, curiosité, amour, avidité, mort, métamorphose, sottise, myopie et critique, puis de tout brasser pour obtenir une somme de réponses qui permettra d’écrire un volume épais comme le fameux antiphonaire de Séville sur lequel personne n’a jamais su griffonner une note, que nul n’a jamais aperçu, et dont jusqu’à ce jour encore, nul autre que moi-même, qui personnellement ne l’ai jamais vu, n’a osé mentionner l’existence.
Demande-t-on son livret de famille à la femme aimée ?__
Si ces romanciers, ces poètes, ces essayistes admirent et prennent volontiers fait et cause pour le « peuple de l’art », c’est parce qu’eux-mêmes, aussi en butte au mépris et à l’incompréhension du grand nombre, subissent les mêmes contraintes matérielles. Ce sont les ouvrages refusés, les invendus, le loyer à payer, le mont-de-piété, la prison pour dettes où auraient pu se retrouver incarcérés dans le même réduit Gavarni, Daumier, Balzac ou Nerval.
La passion que j’éprouve depuis mon adolescence pour les objets n’a d’égale que celle de Don Juan, ou celle de Mandrin. Amoureux de l’épouse d’Arnolfini peinte par Van Eyck, je ferais tout pour la posséder. … Semblable passion va de pair avec le désir que j’ai d’en savoir toujours plus sur l’origine des objets et sur l’identité de ceux qui les ont conçus.