Citations sur Le violon (13)
Karl. J'ai posé la main sur ses joues osseuses dont toute douceur avait disparu. Une dernière fois, laissez-moi me vautrer dans la mort, avec la musique de mon nouvel ami, cette fois, venu à moi comme si le Diable l'avait fait surgir de l'Enfer, ce violoniste, spécialement à l'intention de ceux d'entre nous qui sont énamourés de la mort apaisante.
Il me vint à l'esprit - vaste pensée imprécise, incapable de prendre forme dans l'ambiance de cette musique lente et insistante, si merveilleusement émouvante- que c'était là le propre du violon, ce pouvoir de produire des sons humains, plus profondément humains que nous ne le pouvons. Il exprime nos pensées et nos émotions d'une manière dont nous-mêmes sommes incapables. Tout ce que disent la philosophie et la poésie est là.
La musique est partout, il suffit d’être attentif: la pluie, le vent, les gémissements de ceux qui souffrent, tout est chant, tout est musique.
Que les arbres s’inclinent pour cacher ce lieu, qu’ils s’entrelacent pour former devant mes yeux un rideau de plus en plus épais, non pas vert mais noir comme s’il avait piégé la nuit, repoussant le moindre regard fouineur tandis que l’herbe pousse haut - afin que nous puissions être seuls, toi et moi, et ceux que j’ai tant aimés et sans lesquels je ne puis vivre. Coule. Enfonce-toi dans les profondeurs de la terre. Sens la terre se refermer autour de toi. Que les mottes humides scellent notre quiétude. C’est mon unique désir.
Le chagrin est sage. Le chagrin ne pleure pas. Il ne vient que longtemps après l'épouvante qui nous saisit à la vue de la tombe, ou au chevet du lit. Le chagrin est sage ; le chagrin est imperturbable.
Que les larmes reviennent aussi souvent dans ce récit que n'importe quel autre mot du langage quotidien. Que l'encre se transforme en larmes, qu'elles imprègnent le papier !
Laisse-moi me blottir contre toi, laisse-moi reposer dans tes bras, laisse-moi t'assurer qu'aucun signe extérieur de la mort ne peut me faire oublier l'amour et ce que nous avons vécu, toi et moi, jadis, et nous tous quand nous étions vivants, et je ne voudrais être nulle part si ce n'est avec vous, ici, à l'abri de cette corruption patiente.
Il m'a été donné de préserver ma conscience jusque dans cette ultime étreinte ! Je suis intime avec la mort, et pourtant je vis pour la connaître et la savourer.
Une nuit, bourrée de Percodan, de Phénergan et d’autres opiacés pour me calmer et me faire dormir, pour que je cesse de poser des questions stupides – la maison était-elle bien fermée, ne risquait-elle rien ? Où était passé l’esquisse de Karl représentant saint Sébastien ? -, il m’est venu à l’esprit que la malédiction de la mémoire, c’est ceci : tout est éternellement présent.
Mozart a toujours été mon gardien radieux, je l’appelais le Petit Génie, le Maître du Chœur des Anges. C’était cela Mozart, tandis que Beethoven est le Maître de mon Cœur ténébreux, le capitaine de ma vie brisée et de tous mes échecs.
Je connaissais cette odeur. Nous la connaissons tous. Même ceux qui ne sont jamais allés dans les morgues ou sur des champs de bataille la connaissent. Nous l'avons perçue quand un rat est mort dans un mur creux, et que personne n'arrive à le trouver.