AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de MaiteBravo


Quand je suis arrivée en Argentine en 1984, la démocratie avait à peine six mois. La littérature argentine, à l'époque, c'était surtout Borges et Cortazar, et juste en dessous en termes de notoriété, Bioy Casares, Manuel Mujica Lainez et Horacio Quiroga. Ce qu'ils écrivaient était magnifique mais se démarquait du reste de la littérature latinoémaricaine de l'époque par son côté jeux intellectuels. Qui les a lus sait que les références littéraires sont nombreuses, alors qu'on pouvait lire Garcia Marquez, Isabel Allende ou Vargas Llosa sans être un spécialiste de la bible, d'Edgar Poe ou de tout ce qui sous tend les contes de ces écrivains argentins. Trente ans plus tard, la littérature argentine est sortie de l'ombre immense de Borges et Cortazar, et on y trouve aussi bien du polar, du roman historique, du roman d'amour, que du roman sur cette époque très particulière qu'est la dictature de Videla.
"Petits combattants" s'inscrit dans cette dernière frange, comme "Manèges" de Laura Alcoba, ou "Kamchatka" de Marcelo Figueras. Voilà trois romans qui traitent de ces sujets extrèmement difficles à mettre en mots que sont les enlèvements d'opposants au régime, les disparitions, et comment certains enfants de ces opposants ont été élevés par les bourrreaux de leurs parents sans connaître leurs origines. Dans ce roman, la narratrice et son petit frère dormaient quand les militaires sont venus enlever leurs parents. "Comment ai-je pu continuer à dormir dans tout ce vacarme"? ne cessera-t-elle de se demander plus tard. On apprendra que son père avait une arme mais qu'il a sans doute choisi de ne pas déclencher un échanges de tirs pour que les enfants survivent.
Ils vont survivre, oui, élevés par leur oncle, leur tante, et leurs deux grand-mères, dont une, juive, qui est une rescapée du ghetto de Varsovie. Ils vont aller à l'école, s'amuser, rire et nous faire rire, mais nous serrer la gorge aussi, quand ils posent soudainement des questions aux adultes qui font que d'un seul coup les plats tombent, l'oncle sort, la grand-mère se met à lancer des imprécations en yiddish, sous l'oeil clinique de cette petite fille qui se dit que décidément, on les a confiés à des adultes qui ne sont pas très raisonnables. On pourrait être dans le Petit Nicolas, où le héros de Sempé et Goscinny et ses copains provoquaient eux aussi ce genre de réactions chez les adultes, avec la maman qui éclatait en sanglots ou le Bouillon qui levait les bras au ciel. Là on a un pauvre sourire et la gorge serrée.
Le roman est court et suit le parcours d'une réalisation terrible. Non, ces deux enfants ne sont pas les héros d'un conte de fées. Non, leurs parents ne sont pas perdus dans une forêt, et incapables de revenir vers eux parce que les coups et la peur les auraient rendus amnésiques. Non, il ne suffira pas pour les retrouver que la narratrice garde sa tignasse, cette tignasse qui lui vaut tant de moqueries, mais qu'elle tient de sa mère, et dont elle est sure que n'importe où dans le monde, il suffira que sa mère la voit pour retrouver la mémoire et donc ses enfants.
Le mot "morts" mettra très longtemps à être prononcé, puis à être accepté. Entre temps, la narratrice aura eu le temps de tomber amoureuse d'un garçon "au niveau de conscience vraiment pas élevé" (traduction : qui n'est pas communiste -un des meilleurs chapitres du livre-), elle aura passé des vacances dans les Andes dans la partie de sa famille où tous ses oncles sont policiers et militaires (la fameuse grand-mère juive l'empêchera in extremis d'aller leur demander s'ils ne savent pas où sont ses parents, vu qu'ils sont forcément bien informés), puis à la mer, où elle et son petit frère, ébahis, verront arriver dans le port un énorme bateau de marchandise avec la faucille et le marteau de l'URSS. Alors la lutte continue quelque part, se diront-ils, dans ce qui est là aussi un des plus beaux passages du livre.
La lutte continue en effet pour Raquel Robles, à la fois avec l'association HIJOS, qui se bat pour retrouver tous les disparus et tous les enfants kidnappés à l'époque, et dans ce livre, où elle a réussi à faire de son vécu et du vécu d'autres enfants dans son cas non pas une liste de moments poignants mais une oeuvre littéraire.

Lien : http://www.lexpress.fr/cultu..
Commenter  J’apprécie          145



Ont apprécié cette critique (6)voir plus




{* *}