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Les Petits Enfants du siècle" est un roman français de
Christiane Rochefort paru en 1961.
Christiane Rochefort est une femme de lettres française, née en juillet 1917 à Paris et morte en avril 1998. Ce roman est une chronique de la vie dans les banlieues parisiennes au cours des années 60
La narratrice, Josyane Rouvier, surnommée Jo est issue d'une famille nombreuse du monde ouvrier dans les années 1960. Elle vit dans une cité, dans un H.L.M., un de ces «grands blocs neufs», où les gens grouillent «comme des petites bêtes sous les lampadaires» à Bagnolet, en banlieue parisienne. Elle a onze ans. Son père est ouvrier dans une usine de moutarde et sa mère, femme au foyer. Elle raconte son enfance et son adolescence. Elle ne se sent pas heureuse, parce que non désirée et non aimée. Surtout que dix enfants suivent, rémunérateurs car apportant machine à laver, réfrigérateur, télé, voiture aux parents. le récit s'intercale dans les trente glorieuses, période où chaque nouvelle naissance est encouragée par la politique nataliste du gouvernement et synonyme de primes, de logement plus grand et même de l'acquisition d'électroménagers. On assiste ainsi aux débuts de la nouvelle société de consommation.
Jo est l'aînée et donc appelée à prendre le rôle de petite maman, à remplir la fonction de bonne à tout faire, encouragée activement par sa mère. Elle est donc astreinte, en plus de ses cours, aux différentes tâches ménagères et à l'éducation de ses frères et soeurs (dont l'une est déficiente mentale). Sa mère est de plus en plus malade, de plus en plus dépendante de l'assistance sociale, tandis que le père est moralement absent.
Josyane est harassée. Elle ne vit que pour les quelques moments de solitude qu'elle parvient à se ménager. Ses deux seuls plaisirs sont ses devoirs, le soir, sur la table de la cuisine, lorsque tout le monde dort ainsi que les moments privilégiés passés avec son jeune frère, Nicolas, qui comprend tout.
Elle découvre très jeune la sexualité avec Guido, un maçon italien, d'une trentaine d'années, en qui elle trouve pour la première fois un peu de chaleur, d'affection et de tendresse. Cet amour bouleverse sa vie, en chasse toute la laideur et la bêtise. En août, à la fermeture de l'usine, les parents partent en vacances et Jo est forcée d'abandonner Guido. Les vacances sont mortellement ennuyeuses pour Jo qui, à la rentrée, cherche Guido mais il a disparu, déplacé avec son chantier.
Jo ne parvient pas à retrouver Guido, et les dernières années de son adolescence sont rythmées par les loisirs de son âge et des jeunes de Bagnolet (virées, sorties au cinéma, sexualité précoce et banalisée...).
Après une passade avec René, le père d'une de ses copines, elle s'attache à Frédéric, fils d'une famille moyenne partisane du communisme. Mais il meurt quelques mois plus tard en faisant son service militaire en Algérie. Sa vie paraît alors à Josyane plus fade, et elle se désintéresse de sa famille. Cependant, elle rencontre Philippe, un installateur de téléviseurs qui lui donne un enfant et avec qui elle se marie. Pleins d'espoirs en une nouvelle vie, les deux amoureux se tournent alors vers un lieu plus propice à leur idylle et, au début des années 1960, cherchent un appartement dans les grands ensembles modernes de Sarcelles.
Le dénouement du roman peut paraître heureux. Mais Jo envisage les achats pour la cérémonie du mariage, pour la naissance de son premier bébé, et elle va habiter en cité. le roman finit donc comme il a commencé. On assiste à la perpétuation, avec ce nouveau couple, de la vie aliénante des parents.
Ce livre est un document pertinent sur la France de l'après-guerre. un témoignage de la vie dans la période d'expansion économique, de prospérité constante et d'amélioration des conditions de vie qui s'étendit de 1945 à 1975 et qui a reçu le nom des «Trente glorieuses».
A cause de l'expansion économique, les Français affluèrent vers les villes et les emplois. du fait des destructions subies pendant la guerre, il y eut pénurie de logements et ceux qui existaient étaient en mauvais état. Dans les années cinquante et soixante, d'importants investissements furent faits dans la création de logements sociaux modernes pour satisfaire les besoins de la nation, de vastes ensembles d'immeubles construits généralement en banlieue. La famille de Josiane disposait d'un petit appartement typique de cette époque et des nouvelles cités : trois chambres, une salle d'eau avec machine à laver et cuisine-séjour. Dans les H.L.M. («habitations à loyer modéré»), le nombre de chambres croissait avec la taille des familles. Selon l'auteur, ces grands ensembles sans âme, constituent un habitat malsain qui a entraîné la misère morale, la marginalisation, l'aliénation, la déshumanisation de la classe ouvrière.
Christiane Rochefort dit admirablement, à travers la narratrice, le mal de vivre à Bagnolet, à Sarcelles et autres lieux du même type. Car ces HLM produisent un mode de vie où l'on retrouve la pauvreté, l'absence de normes, la promiscuité et l'ennui quotidien. On voit le recours à de pitoyables tentatives d'évasion, dans l'alcool (l'apéro), dans le P.M.U. (jeu d'argent sur les courses de chevaux autorisé par la loi).
L'État promulgua également une politique nataliste, en instituant un système d'allocations familiales, sommes d'argent versées chaque mois pour chaque enfant, et de primes de salaire unique.
Les couches populaires ont rapidement accepté ces nouveaux bénéfices pour profiter des biens de consommation. On considérait que la vie idéale des femmes était de rester à la maison et qu'elles ne devaient avoir d'autre profession que le ménage et la maternité. Seuls les hommes pouvaient avoir une carrière. Dans “
Les petits enfants du siècle”, les enfants ne sont considérés que comme des machines à gagner de l'argent, La réelle valeur des enfants et de la maternité est perdue dans une société dans laquelle chacun est soumis aux nécessités de la croissance du pays et de l'économie
Cette prospérité augmentée par le crédit, la politique nataliste a créé dans la population un matérialisme excessif. La classe ouvrière se montre avide de biens de consommation, achetant d'abord des appareils ménagers destinés à rendre la vie domestique plus agréable (la machine à laver, le réfrigérateur, le mixeur, la cocotte minute), puis le téléviseur, enfin la voiture qui permettait de partir en vacances.
Jo constate, désabusée, que les rôles possibles sont déjà écrits pour elle. Mais elle a de l'énergie et, même si elle est bloquée par sa condition sociale et physique (notamment son habitat) aussi bien que par le manque d'éducation et les pressions familiales, elle s'approprie à sa façon les difficultés de la vie en banlieue. Cependant, elle est d'autant plus victime qu'elle ne peut pas imaginer une autre sorte de vie, qu'elle baigne dans un monde de «maternité éternelle», ses amies et voisines étant toujours enceintes, l'usine à fabriquer des enfants étant la seule possibilité qui s'offre à ces femmes.
L'éducation est une évasion possible mais pas du tout développée dans le livre.
Livre lu dans le cadre de mes cours en pédagogie.