C'est comme un voyage au centre de la Terre. D'abord, l'obscurité qui envahit. Puis une pression immense, et toujours grandissante, qui écrase, une chaleur infernale qui étreint.
Un environnement dantesque, hostile, dangereux. C'est ici, et dans ces conditions seulement, que des tripes du monde naissent les diamants bruts. de la rage de la Terre.
Peut-être est-ce de ces entrailles que Lauren, Aaron, Emilie, Aashakiran et Nathaniel ont réussi à s'échapper, pour trouver refuge dans les pages de ce diamant brut.
L'incipit magistral nous plonge tête la première dans la poésie lumineuse de ce roman : un pont sur l'océan, des vagues de larmes qui se brisent sur ses piliers, un homme qui erre sans fin et perd un souvenir à chacun des kilomètres qu'il parcourt, le ton est donné.
Puis les personnages arrivent, se croisent, se frottent au monde, vont chatouiller sa résistance.
Lauren va s'échapper de son village de Kiowa au fond du Kansas après une tuerie pour se réfugier dans une librairie new-yorkaise, Aaron va s'échapper de sa famille trop proche
De La Famille pour devenir un avocat humaniste, Emilie va s'échapper des fuites et les faux-semblants de sa famille, Aashakiran va échapper à ses origines d'intouchable pour devenir astrophysicienne, Nathaniel va s'échapper de la célébrité pour se retrouver.
Tout n'est qu'affaire de fuite. Fuite en avant, en arrière, de côté, à l'autre bout du monde et de l'humanité, peu importe du moment que l'on pense semer ses fantômes et ses démons, courir vite et plus vite encore, tenir ses racines et leurs ramifications toxiques à distance raisonnable, semer loin derrière soi la page précédente.
Chaque personnage va croiser les autres, compléter son histoire, ajouter un point de vue ou un doute, et la narration brillante va nous faire croire qu'on a compris.
Et si ces personnages nous échappaient à nous, lecteurs, tout simplement ? Et si La Vérité, cette garce qui aime jouer au poker menteur, ne méritait pas la majuscule dont elle se targue ? Et s'il fallait aussi traduire les silences de l'auteur ?
Je me suis laissée séduire par les personnages, je me suis immiscée dans leurs baskets, je me suis échappée avec eux. Quand on referme le roman, on reste hébété. Scotché. Et ils nous habitent encore un paquet de temps. Parce qu'ils carburent à l'humain, aux émotions, à la quête du Beau, du Mieux.
Alors oui, je pourrais vous dire que ce premier roman est d'une maturité remarquable, que le schéma narratif m'a scotchée aux pages, que ce sera probablement mon roman préféré de l'année, que cette lecture m'a fait vibrer, que l'écriture est éclatante, vive, rythmée, ouah quel rythme, que c'est un long poème plein de rage, déroutant.
Mais ce n'est pas ça, l'important. Je retiendrai la tendresse et le respect que
Renaud Rodier voue à ses personnages. Il ne les juge pas, il les absout même, leur donne une excuse à défaut de les sauver d'eux-mêmes.
Mais chacun aura sa propre lecture, sa perception, il tricotera son propre bonheur à travers ces pages.
Reste à savoir si j'ai dévoré ce livre ou si c'est lui qui m'a dévorée…