" La connaissance laisse toujours une trace, une marque; et, même sans revenir à la conscience, elle constitue comme un repère et une référence, qui nous aident à penser et à vivre." (p. 23-24 Le Livre de poche)
"Montaigne, déjà, connaissait bien le risque d'une recherche trop intense; et, se plaignant de sa mémoire, il écrivait (dans De la Présomption) : 'Plus je m'en défie, plus elle se trouble; elle me sert mieux par rencontre. Il faut que je la sollicite nonchalamment ; car, si je la presse, elle s'étonne; et depuis qu'elle a commencé à chanceler, plus je la sonde, plus elle s'empêtre et embarrasse : elle me sert à son heure, non pas à la mienne." (p. 66)
" De cet amas de connaissances que l'on croyait d'abord inutiles et qui peu à peu se sont effacées, disparaissant de notre conscience les unes après les autres, résulte donc pour finir la possibilité d'avoir une pensée personnelle, une vie indépendante et une personnalité autonome. La liberté toujours doit se conquérir : elle se conquiert aussi en classe par des exercices dont le sens n'est pas toujours reconnu ni compris." (p. 99)
"On vit, on perçoit, on voit, on entend par la littérature ou du moins on le fait mieux grâce à la littérature. Et même s'il ne s'agit pas de détails mieux perçus, l'évocation littéraire- soit sur le moment, quand nous sommes confrontés à elle, soit après coup, quand il s'agit de souvenirs oubliés- ajoute une présence et une richesse plus grandes à tout ce que nous voyons, même aux objets les plus familiers, aux circonstances, aux mots connus. " (p. 212)
Depuis que je n'y vois plus, je découvre encore chaque jour les beautés du monde, ses étrangetés, ses laideurs, sa présence - parce que la littérature ne cesse de me les apporter.
Il reste que tout bon écrivain est un magicien et que sa magie nous ouvre un monde.
Le plus beau des paradoxes de l'oubli est donc que celui- ci soit comme une réserve de la mémoire.
La littérature ne passe jamais en nous sans laisser après elle une petite marque qui peut être légère et à peine perceptible, mais pourtant capable de durer. Cette marque appartient au domaine du sentiment; et chaque connaissance se double d'élans affectifs qui, peu à peu, dessinent nos goûts et nos aspirations.
L'enseignement a pour mission, entre autres, de constituer pour nous ce trésor et de nous en apprendre le maniement.Le trésor des savoirs oubliés vaut pour tous et pour tous les moments de notre vie.
On a parlé du souvenir dont il n'a pas encore été question ici. On a parlé du souvenir en tant que connaissance, de son classement ou de son érosion: visiblement,on ne peut s'en tenir là. Dans tout souvenir il y a une force, il y a un élan dans un sens ou dans l'autre, comme une charge éléctrique positive ou négative prête à déclencher une réaction dans un sens ou dans l'autre.
"...l'ADN ou cet acide ribonucléique.."
En attendant, et d’une façon plus générale, c’est un fait qu’aucune expérience n’est jamais tout à fait froide et indifférente. Elle s’accompagne de plaisir ou d’hostilité, d’espoir ou de colère, de sympathie, d’admiration ; elle est vivante. Elle rejoint en nous des dispositions qui seront à chaque fois enrichies, stimulées, contrariées, corrigées, complétées, mais dont le premier germe aura été semé alors – cela quel que soit le sort réservé à ces connaissances d’autrefois, et quel que soit le degré d’oubli qui les aura recouverte.
Et, s’il est ainsi possible d’en relever la présence dans tous les souvenirs qui restent bien vivant nous, comment douter qu’il en soit de même pour les souvenirs oubliés ? Tous ces romans que nous avons lus, en avons-nous le souvenir ? Et même ces tragédies ? Et même ses poèmes ? Tout cela est passé, passé à travers nous. Mais d’avoir éprouvé, fut-ce d’une façon fugitive, de la pitié pour des êtres très différents, de la compréhension pour des situations inconnues, des espoirs et de désespoirs qui n’étaient pas les nôtres, comment une telle accumulation d’expériences même rapide ne laisserait-elle pas ouverte en nous la voie pour de tels sentiments, l’habitude et la connaissance de leurs possibilités ?
La littérature ne passe jamais en nous sans laisser après elle une petite marque qui peut être légère et à peine perceptible et pourtant capable de durer. Cette marque appartient au domaine du sentiment ; et chaque connaissance ce double d’élans affectifs qui, peu à peu, dessinent et nos goûts et nos aspirations.