C'est le premier ouvrage que j'ai lu d'
Hartmut Rosa. Je connaissais déjà cet auteur, à travers des articles et interviews pour ses concepts d'accélération et de
résonance. Il s'agit ici d'un petit essai qui nous invite à «
rendre le monde indisponible ».
Selon
Hartmut Rosa notre monde n'a jamais été aussi disponible. Il en donne au deuxième chapitre, une définition, un monde disponible, c'est un monde à la fois visible, atteignable, maîtrisable et utilisable. Concrètement, dès qu'on a de l'argent il n'a jamais été aussi simple de partir à l'autre bout du monde, acheter et se faire livrer un produit ou un repas. Cette disponibilité s'applique aussi au savoir qui permets de créer de nouvelles inventions et donc souvent de nouveaux services (streaming…) ou objets… La disponibilité va croissant à l'inverse de l'état de notre planète.
Pourtant cette disponibilité ne nous rend pas heureux, le monde n'en est pas plus égalitaire, de nombreux pauvres n'ont pas accès équitablement aux ressources de la planète, et surtout cette disponibilité créé un désordre anthropique qui pourrait être mortel pour une partie de l'humanité : réchauffement climatique, diminution de la biodiversité…
L'auteur revient peu sur son concept d'accélération, pour faire très court, notre monde depuis l'ère moderne et surtout depuis la période industriel, s'accélère, tout le monde a pu le constater. Tout va plus vite, pourtant nous avons le sentiment d'avoir moins de temps. Cette accélération nous éloigne toujours davantage du monde naturel. Elle nous empêche d'être en
résonance avec le monde naturel et les autres êtres vivants. C'est une accélération moderne, vers plus de technique, moins de liens sociaux.
La
résonance est défini par l'auteur comme étant le moment du contact (affection), puis de l'efficacité personnelle (réponse), puis de l'assimilation (transformation) et enfin de l'indisponibilité. Concrètement à chaque fois qu'on a la chair de poule, une réaction physique, une émotion, on peut dire qu'on est en
résonance. Être en
résonance c'est être en relation au monde, être sensible à ce qui ce passe. L'auteur ne le dit pas comme ça mais cette notion de
résonance m'a fait penser à ce que d'autres appellent « l'instant présent » ou l'« ici et maintenant ». Cette
résonance nous transforme, nous émeu. L'une de ses caractéristiques c'est de ne pas toujours être disponible. Quand on regardes un paysage on ne sait pas d'avance s'il va nous émouvoir, ni même à tous les coups si on le regardes pour une seconde fois. La
résonance c'est une réponse à l'aliénation.
Le monde indisponible, par exemple, c'est la neige que l'on ne peut pas prévoir. Quand va t-elle tomber cet hiver, en quelle quantité, à quelle altitude ? L'homme cherche à rendre la neige disponible, et pas seulement la neige, pour des raisons pécuniaires. Mais ce trop-plein de disponibilité se retourne contre nous c'est ce que dis l'auteur dans son dernier chapitre. Paradoxalement, une disponibilité totale se transforme en monde imprévisible, un monstre ou l'on ne maîtrise plus du tout ce qui se passe, ce qui n'est pas souhaitable : c'est ce qui se passe avec le réchauffement climatique.
Un monde indisponible c'est un monde ou l'on ne cherche pas à maîtriser tous les aléas, à mettre tout sous contrôle. C'est préserver par exemple des zones humides plutôt que de vouloir canaliser, planifier la nature.
L'auteur affilie son concept de disponibilité dans une approche économique et philosophique qui s'inscrit dans la lignée de la critique de la modernité par
Karl Marx. A tout vouloir contrôler, notre monde nous échappe. Cela dit l'auteur ne reste pas attaché à Marx et développe son concept, au-delà, bien ancré dans les problématiques actuels.
J'ai trouvé l'avant-dernier chapitre, le 8ème, particulièrement pertinent. Il y parle du désir et de son indisponibilité. Nous désirons également de l'indisponibilité. Si tout était prévisible, y aurait-il encore du goût pour l'aventure ? Une balade en forêt ou en randonnée, aurait-elle la même saveur si l'on savait d'avance tout ce qui se passerait ? Les aléas, les rencontres, les contre-temps, les surprises font parti de la vie, c'est ce qui lui donne aussi sa saveur. le numérique a tendance à formater le monde, surtout lorsque les contenus sont générés par anticipation de nos attentes. La thèse d'
Hartmut Rosa c'« est que la structure fondamentale du désir humain est un désir de relation : nous voulons atteindre ou rendre atteignable quelque chose qui n'est pas « à notre disposition » ». le marché l'a bien compris et nous inonde de publicité, sur nos écrans, ou dans l'espace public, en ce sens.
« L'indisponibilité complète est dépourvue de sens au regard du désir, mais la disponibilité totale est sans attrait. Cela signifie qu'une relation réussie au monde vise à l'atteignabilité, pas à la disponibilité. » (p130)
J'ai apprécié ce livre, ses concepts et définitions, clair et simple à comprendre, même si l'auteur ne donne pas vraiment de réponse pour un changement d'ampleur à l'échelle de notre monde – pas de recette donc mais des pistes pour soi-même. le livre se rapproche, formulé différemment mais dont la thèse est proche, de
Bruno Latour et son ouvrage « Nous n'avons jamais été modernes », qu'
Hartmut Rosa cite d'ailleurs. le livre d'
Hartmut Rosa est plus clair que celui de Latour que j'avais lu précédemment. A titre individuel cet ouvrage permets de prendre davantage conscience des ressorts inconscients de nos désirs, mais aussi de nos peurs. C'est une invitation à aller davantage vers l'inconnu, à moins fixer de cadre, se laisser porter en s'adaptant au cas par cas selon les situations. J'y ai reconnu parfois une pointe d'anarchie, par exemple sur la gestion des demandeurs d'asile, ou la loi ne peut pas prévoir toutes les situations humaines, et traiter toutes les demandes avec l'humanité nécessaire.
Selon moi l'ouvrage nécessiterait une suite, sous la forme d'un essai plus étoffé pour l'inscrire dans une proposition plus général de l'indisponibilité d'un nouveau monde à venir. Cela semble être le sens de la conclusion, très courte, qui tient en une demi-page. A suivre donc, la thèse est prometteuse, à contre-courant du progrès promothéen.