Ivo & Jorge

Avec un tel exemple familial, Ivo pourrait suivre le même engagement. Il se sent, "communiste de naissance", communiste de coeur, par affection pour son père, par solidarité avec ses combats. mais Ivo Livi n'adhère pas au parti. Réflexe individualiste ? (..) Avant tout, un manque d'entrain pour les contraintes du militantisme, les efforts routiniers, le moule idéologique. Ivo garde ses distances, même s'il aime la fraternité des opprimés.(p. 59)

"il faut que tu intéresses aussi bien le petit peuple que Sacha Guitry ou Cocteau", lui répète Edith Piaf, amie des deux écrivains (...) Montand se jette dans la lecture avec la volonté farouche de s'élever, de comprendre. Il lit des poèmes, plus accessibles que les romans, dont la forme est proche de la chanson, s'entiche de Verlaine. Bientôt, il découvre Prévert. (p. 161)

[Montand ] - J'ai cru à Staline de façon religieuse. Chez moi au-dessus du lit de ma mère, il y avait le crucifix et le portrait de Staline. Au nom de la fidélité, on acceptait l'inacceptable. L'esprit du parti annulait tout esprit critique. Dans ce monde coupé en deux, la crainte de faire le jeu de l'Amérique refoulait le moindre doute. (p. 200)

Le jeune homme [Montand ] est heureux de se sentir utile, de fréquenter l'aristocratie ouvrière, celle des métallos, de partager leur condition et d'en goûter la solidarité. Il découvre également que les travailleurs peuvent être cruels, racistes, injustes. (...) Le bien et le mal ne sont pas des entités délimitées, étanches. L'humanité est le plus souvent grisâtre. Amer constat pour ce fils du peuple. (p. 79)

Le regard fraternel. Derrière les barbelés, l'humanité combat l'horreur. Quand l'histoire galope, l'abject côtoie le sublime.
Et la fraternité s'oppose au mal absolu.

- Profession
-Etudiant en philosophie
-ici, ce n'est pas une profession !
-Si, Si, je suis étudiant en philosophie.
-A Buchenwald, il vaut mieux avoir un métier manuel.
L'homme aux yeux bleus, satisfait que Jorge lui réponde en allemand, propose des qualifications, électricien, mécanicien, maçon, menuisier ? Jorge secoue la tête. Il ne sait rien faire de ses dix doigts de jeune bourgeois madrilène choyé par des gouvernantes. [...]
Le détenu au triangle rouge insiste une dernière fois: pour survivre à Buchenwald, il faut avoir une profession manuelle , être ouvrier spécialisé. Semprun, dans l'orgueil de ses vingt-ans, dans l'ignorance de la mécanique concentrationnaire, persiste.
-Je suis étudiant en philosophie, rien d'autre.
Le type en face de lui a un geste de dépit. Il écrit quelque chose sur la fiche.
Au suivant. (p. 141)

Après leur rencontre, Montand et Semprún cheminent ensemble de la critique interne du communisme à son rejet. Leur trajectoire commune est celle de millions de personnes passées de la foi aveugle à la perte de la croyance, des illusions lyriques aux illusions perdues.

J'ai cru à Staline de façon religieuse. Chez moi au-dessus du lit de ma mère, il y avait le crucifix et le portrait de Staline. Au nom de la fidélité, on acceptait l'inacceptable. L'esprit du parti annulait tout esprit critique. Dans ce monde coupé en deux, la crainte de faire le jeu de l'Amérique refoulait le moindre doute.

Montand et Semprun sont des communistes critiques qui ont perdu leurs illusions mais gardé leurs espérances.

A partir de leur rencontre, Montand et Semprun cheminent ensemble de la critique interne du communisme à son rejet. Leur trajectoire commune est celle de millions de personnes passées de la foi aveugle à la perte de la croyance, des illusions lyriques aux illusions perdues.