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« le communisme n'était pas la jeunesse du monde mais il était notre jeunesse ». Phrase prononcée par Jorge Semprun à l'intention d'Ivo Livi, à la fin du livre, et qui illustre parfaitement l'engagement de Jorge et celui de son ami, Ivo.

Il est évident que ce livre m'a touchée puisqu'il me remémore ma jeunesse. J'ai lu Semprun très jeune comme j'ai aimé Montand chantant « Les feuilles mortes » ou « A bicyclette ». Montand, c'est l'époque du beau cinéma, des grands acteurs comme dans César et Rosalie ou François, Paul et les autres. IL est difficile d'oublier « Z » et « l'Aveu » avec Gavras derrière la caméra ou « le Salaire de la peur » de Clouzot.

Gavras derrière la caméra, Semprun au scénario et Montand l'acteur. Les images défilent devant mes yeux : c'est une authentique félicité, un peu comme le plaisir de la cigarette interdite accompagnant un bon café (ancienne fumeuse) même si ce récit est consacré aussi aux évènements terribles qui ont jalonné l'Histoire de ce XXème siècle et de ces atrocités.

Passionnante, émouvante, vibrante lecture ! Patrick Rotman a un style extrêmement visuel, dynamique, je dirais empathique ! Ami de Semprun et de Montand, il leur donne vie sous nos yeux. C'est lui le narrateur. de questions courtes en réponse sans fard, on remonte le cours du temps jusqu'à la jeunesse de Jorge, issu de la bourgeoisie et aristocratie madrilène, et celle d'Ivo, issu du milieu ouvrier marseillais jusqu'à leur rencontre, en 1960, où, malgré leurs différences sociales, ils vont se « reconnaître ». de ce qui se dégage de ces deux hommes, de ce ciment indicible, ils vont pouvoir, mutuellement, échanger, analyser, leurs illusions, disséquer leurs convictions et surtout devoir, sans se mentir, accepter avec lucidité leurs désillusions quant au vrai visage du communisme. Ce sera une amitié absolue, une véritable collaboration pour mieux dénoncer et régler les comptes avec leur engagement politique.

Le récit s'ouvre en juin 1990. Yves Montand, Simone Signoret, Jorge Semprun et Costa Gavras atterrissent à Moscou où ils viennent présenter l'Aveu qui dénonce les crimes du communisme. Dans cette Russie de Gorbatchev, les trois amis, l'émigré italien, l'émigré espagnol et l'émigré grec sont saisis d'une sensation de miracle : le tout Moscou vient voir l'Aveu.

De la situation présente, Jorge se raconte rétrospectivement : l'exil avec la chute de la République Espagnole, la Résistance, Buchenwald où il découvre la fraternité ; « Quand l'histoire galope, l'abject côtoie le sublime et la fraternité s'oppose au mal absolu », la clandestinité en Espagne afin de prendre des contacts et constituer des réseaux communistes, la foi chevillée au ventre.

Pendant ce temps, on assiste à la montée sur les planches du jeune Yves Montand, on le suit des quartiers insalubres de Marseille à son arrivée à Paris, puis on assiste à son ascension, toujours fidèle à son père Giovanni, ouvrier communiste, ayant fui le fascisme. Avec intelligence, l'auteur met en miroir, aux mêmes époques, les deux destinées, afin de permettre une vue individuelle du chemin de chacun, tout en conservant une vision globale.

Quelle époque et quel bouillonnement intellectuel après cette seconde guerre mondiale : c'est ce qui ressort de cette lecture. Mais aussi que d'aveuglements, qu'il est dur de faire tomber le bandeau quand les douleurs du désenchantement, du renoncement sont tenaces. On replonge dans Prague, dans Budapest. le récit n'est jamais assommant, il est riche d'enseignements sur l'être humain.

Montand est décédé en octobre 1991. Il devait être sur scène en 1992 à Bercy, je n'ai donc jamais pu voir ce cow-boy dans les plaines du Far-West. Il aurait eu cent ans cette année !
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Juste un immense joyau !!!

Patrick Rotman a l'idée géniale de nous faire parcourir l'histoire du XXe et ses grands soubresauts à travers la grande amitié de deux hommes aux origines si dissemblables, et aux personnalités « fortes » : Jorge Semprun et Yves Montand, qui se rejoindront plus tard, dans des engagements similaires…La narration est habilement menée , alternant les parcours du chanteur-comédien et de l'écrivain engagé : récits de l'enfance, la jeunesse, les débuts de la vie d'adulte pendant la guerre,la résistance, l'adhésion au parti communiste, les carrières de l'un et de l'autre, leur rencontre…

Un récit au style fluide qui nous emporte littéralement… par l'émotion, l'intelligence, la dynamique du récit, prodigue en dialogues, anecdotes…

J'ai tant souligné au fil de ma lecture… que je me contenterai d'un extrait du prologue…qui exprime déjà tant de ce qui a réuni les deux amis, Yvo et Jorge !

«(…)
Dès qu'il [Montand ] a fini son dernier refrain, il se lève et rejoint ses amis Costa-Gavras et Jorge Semprun. Ils viennent d'atterrir du vol de Paris, encore incrédules de se trouver là, en juin 1990 dans le Moscou de la perestroïka gorbatchévienne pour présenter -L'Aveu-, qui a dénoncé les crimes du communisme. Ce film sorti juste vingt-ans auparavant est leur oeuvre, aux trois immigrés, le réalisateur né en Grèce, le scénariste espagnol et l'acteur d'origine italienne. Entre eux, l'idée de la projection de l'Aveu dans la Mecque du communisme était depuis des années devenue un sujet de plaisanterie. Quand on passera L'Aveu à Moscou, les poules auront des dents, les poissons des bretelles et les cochons voleront. Les trois amis étaient convaincus que de leur vivant, les Russes ne verraient pas le film.
Le miracle s'est produit.”

Un total coup de foudre pour ce livre flamboyant… qui m'a captivée… que je voudrais ne pas achever !
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Réunir dans une même biographie croisée deux de mes héros, Jorge Semprun et Ivo Livi dit Yves Montand, et sous la plume de Patrick Rotman, il n'en fallait pas beaucoup plus pour m'allécher! Merci Martine toi qui par ta critique enthousiaste m'as littéralement prescrit cette gourmandise !

Le livre a tenu ses promesses et je l'ai dévoré presque trop vite, entre deux lectures plus ardues, comme on croque un éclair au chocolat entre deux plats de quinoa-boulgour bio!

L'aristo et le prolo, le résistant et le chanteur, l'homme de plume et l'homme de scène, l'intellectuel et l'autodidacte, tout opposait Jorge Semprun et Ivo Livi qu'un "coup de foudre amical" finit par réunir en 1963.

Tous deux ont eu un compagnonnage plus ou moins étroit avec le parti communiste. L'un, Ivo, par culture familiale et anti fascisme viscéral (mais sans aller jusqu'à s'encarter), l'autre, Jorge, par choix politique et opposition clandestine au franquisme triomphant, après la guerre civile espagnole.

Indéfectiblement liés ( et formant bientôt un trio inséparable sous la houlette de Costa Gavras) tous deux ont incarné la fascination, la fidélité aveugle puis descillée à l'égard du communisme, et enfin la critique et la dénonciation de ses crimes et de ses abus...comme bien d'autres hommes et femmes de gauche à l'époque de la guerre froide.

Patrick Rotman fait revivre les années de l'avant guerre aux années quatre vingt à travers le prisme de ces deux vies, de ces deux consciences exemplaires.

L'intellectuel comme le baladin ont eu à se poser le problème de l'engagement face au nazisme, puis face au communisme.

Leurs erreurs, leurs ratages, leurs illusions et leurs déconvenues sont celles de toute une génération.

C'est aussi pour cela qu'on admire comment, sans se renier complètement ni hurler avec les loups capitalistes, ces deux hommes si différents ont su apparier leurs qualités complémentaires pour dénoncer avec une vigueur implacable - bien que tardive- l' ignoble mascarade des procès de Moscou en signant, pour Semprun, le scénario du film de Costa Gavras, L'aveu, dont Montand interpréta le rôle principal, celui du "traître" Arthur London.

Cet Aveu extorqué sous la torture à Arthur London c'est aussi le leur:celui d'avoir cru à une idéologie aussi meurtrière que celle du nazisme qu'elle combattait, et d'y avoir cru au point de fermer les yeux sur ses mensonges et ses errements.



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Commençons par des remerciements : merci aux lecteurs de Babelio qui m'ont donné envie de lire ce livre. Cette double biographie est passionnante et présente tout un pan de l'histoire du XX éme siècle.

Ivo, c'est Yves Montand ; Jorge, Jorge Semprun. Deux personnalités que tout oppose dans leur jeunesse. Ivo Livi est le fils d'un immigré italien communiste, élevé dans les quartiers populaires de Marseille ; pas intéressé par l'école, mais débrouillard et enchaînant les petits boulots – dont coiffeur – jusqu'à tenter de percer juste avant guerre dans le music-hall. Jorge de Semprun sort lui d'une famille bourgeoise, impliquée côté maternel dans la vie politique espagnole depuis deux générations, vivant à deux pas du Prado à Madrid, élevé par des gouvernantes. Rotman choisit d'alterner tout le long de l'ouvrage la vie de l'un et celle de l'autre aux mêmes moments. Ces scènes mises en parallèle font penser au générique de la série télé des années 70 the Persuaders (Amicalement vôtre). Des points de départs opposés et des caractères affirmés, d'un côté un volubile, jouant de son corps, mais intérieurement timide, de l'autre un gars plus réservé, marqué tôt par l'histoire de son pays.

Montand va connaître ses premiers succès parisiens pendant la guerre, rencontrer et aimer Piaf, rester toujours sensible à l'idéologie communiste, colportée par son père et son frère aîné, mais sans jamais vraiment s'engager.

Semprun, lui, va connaître l'exil, la déchéance sociale, l'entrée dans la résistance en France, l'arrestation par la Gestapo, le camp de Buchenwald, l'aide des camarades communiste internés. Il sort de la guerre marqué à vie et se lance pendant dix ans dans la vie clandestine pour créer et faire vivre des cellules du parti communiste espagnol sur le sol espagnol durant les années Franco.

Le parcours de Montand, sa volonté de réussir, son goût du travail, l'envie de bien faire, s'expliquent par ses origines. Celui de Semprun est marqué par ce passage dans les bureaux de l'Arbeitsstatistik du camp de Buchenwald. Les communistes avaient pris en main l'administration informelle du camp, aidaient leurs sympathisants. Il y a côtoyé les futurs dirigeants des partis communistes des Pays de l'Est, comme son voisin de bureau Josef Frank, futur membre du comité central du PC tchèque, avant d'être victime d'une parodie de procès sous le stalinisme.

Ces procès de Prague vont commencer à faire douter Semprun… et Montand. Petit à petit, ils s'écartent de leurs idées, envisagent une réforme de l'intérieur du système, avant de constater en Hongrie en 1956, puis en république Tchèque en 1968, l'impossibilité de voir le bloc soviétique changer.

Entretemps, Montand aura connu l'Amérique qui le faisait rêver enfant, Semprun se sera découvert écrivain.

Patrick Rotman explique très bien ces évolutions parallèles qui s'agrègent au final autour d'un film : L'Aveu.

Le style est fluide, les anecdotes nombreuses ; ce récit est passionnant de bout en bout. Avec une mention spéciale sur le passage de Semprun à Buchenwald. Ces quelques pages sur le rôle qu'y ont tenu les « politique » et la solidarité qui les a animés sont impressionnantes.
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Ivo c'est le chanteur , acteur Yves Montand et Jorge l'écrivain et scénariste Jorge Semprun , tous deux des grands bonhommes dans leur domaine et aussi des figures du communisme qu'ils finirent par rejeter .

Nous avons tous en tète quelques chansons interprétées par Montand et beaucoup d'entre nous ont lu quelques titres de Semprun .

Bien que ce livre s'intitule " Roman " ce n'en est pas vraiment un , plutôt un portrait croisé et une double biographie qui redonne vie à ces deux talentueux disparus et évoque aussi d'autres personnages par eux côtoyés ( le réalisateur Costa Gavras , par exemple ) .

Livre passionnant et émouvant .


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Peut-on faire plus différents que ces deux hommes ?
Semprún, espagnol pur sucre, issu d'une famille aisée, de la haute bourgeoisie et de l'aristocratie espagnole proche du pouvoir, ayant suivi le cursus scolaire de « l'élite », intellectuel épousant l'opposition frontale au franquisme après que sa famille a émigré en France. Il sera déporté pour participation à la Résistance puis participera à la lutte contre Franco au sein du PC espagnol.
Montand, fils d'émigrés pauvres en provenance d'Italie, autodidacte, acharné à la réussite et y parvenant à force de travail, compagnon de route du PCF sous l'influence de Simone Signoret.
L'un et l'autre épouseront donc la cause du communisme jusqu'à ce que, peu à peu, dans la douleur, ils ouvrent les yeux sur la réalité. Les événements de Hongrie en 1956 seront pour eux le révélateur initial, et ils finirent par rompre avec le communisme, même si Semprún, engagé clandestinement contre le franquisme, y mis plus de temps.
À la fin des années 60 ils collaborèrent au cinéma, Semprún en tant que scénariste et Montand acteur, en particulier grâce à Costa Gavras qui les réunit dans "Z" et surtout dans "L'aveu".
Ce dernier film fut vécu physiquement et moralement par Montand, comme une forme d'expiation, se reprochant d'avoir fermé le yeux trop longtemps sur les crimes du stalinisme.
L'auteur nous livre là un superbe exercice de « portraits croisés », l'itinéraire de deux hommes si différents, devenus amis, engagés dans une même cause, partageant les mêmes illusions et les mêmes désillusions, un parcours que certains d'entre nous ont emprunté, à nos places, et à des degrés divers : leurs rêves furent nos rêves, leurs désenchantements furent les nôtres.
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Je n'ai pas trouvé tout-à-fait ce que j'attendais dans ce livre, et pourtant je l'ai beaucoup aimé et il m'a profondément touchée.
Comme son titre l'indique, je m'attendais à ce qu'il soit centré sur l'amitié entre Yves Montand et Jorge Semprun, alors qu'en fait il évoque plutôt leurs évolutions parallèles et on ne les croise pas si souvent ensemble au fil du livre. Sur ce point, j'ai été un peu déçue.
Mais c'est le seul bémol que je mettrais à ce livre, car pour le reste c'est une réussite. L'évocation du parcours de chacun de ces deux hommes est passionnante, et on sent dans le style narratif tout le talent de documentariste de Patrick Rotman. Il enchaine les séquences fortes et pleines d'émotion, ménage le suspense en passant d'un personnage à l'autre, on entend presque la voix off!
Il décrit également très intelligemment comment ces deux hommes, venant de milieux sociaux différents, ont tous les deux cru au communisme, et en sont tous les deux revenus. Ce sont ces passages qui m'ont le plus touchée, notamment parce qu'ils faisaient écho à mon histoire familiale.
J'ai donc beaucoup aimé ce livre, que je referme cependant avec une interrogation (que je soumets aux autres lecteurs) : pourquoi l'auteur a-t-il fait figurer le mot Roman sur la couverture?
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Je suis amoureuse de Montand depuis toujours, cela doit me venir de ma mère qui l'est aussi... L'amour filial, donc, me destina à lire ce roman.
À partir du moment où Yves et Simone sont mentionnés, en principe je vais apprécier.
Tel fut le cas pour cette lecture grâce à laquelle j'ai appris et mieux compris.
J'ai découvert également Jorge Semprún, son histoire, ses envies, une autre vision de la vie.

Un livre bien documenté et bien écrit, que je recommande aux personnes curieuses et animées par la politique et l'Histoire!
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Ivo Livi est Yves Montand, fils d'ouvrier communiste de Toscane qui a fui les faisceaux mussoliniens en 1924, et qui s'est installé à Marseille. Jorge Semprùn Maura est le fils d'un aristocrate madrilène, élevé dans le luxe entre des gouvernantes allemandes, des visites au Prado et une éducation soignée à la maison. Qu'est-ce qui a pu rapprocher ces hommes si différents?

Le roman s'ouvre à Moscou en 1990 où l'on projette le film L'Aveu, le film de Costa Gavras adapté du livre de London dont Semprùn a rédigé le scénario où le rôle principal est interprété par Montand. Tout un symbole que cette projection, 20 ans après la sortie du film!

Allers et retours entre Moscou, Madrid et Marseille, Paris, Saint Paul de Vence,  pour raconter la vie de ces deux héros qui nous sont familiers et qui nous ont accompagné. de la Guerre d'Espagne, à la Perestroïka, en passant par la Résistance, Buchenwald, les Procès de Prague, Budapest 1956... Une histoire du XXème siècle vécue par le militant communiste et le compagnon de route, la clandestinité et les feux de la rampe. Une histoire de solidarité, de fraternité. Des regrets d'être "passé à côté de l'essentiel" : pour Montand en ne rejoignant pas la Résistance, pour Semprùn en ayant cautionné les procès staliniens. de belles rencontres aussi pour le lecteur : Edith Piaf, Simone  Signoret, Marilyn et Miller, et tant d'autres....

Leurs histoires auraient pu se croiser, j'ai attendu leur rencontre : elle a eu lieu en 1963,

"Entre Montand et Semprùn, naît une amitié nourrie de leurs histoires respectives, de la recherche d'un idéal perdu, de complicités personnelles.

Ces deux émigrés de l'histoire ont partagé les grandeurs et les désillusions d'une génération. Au début de leur "liaison" amicale, les deux hommes en sont au même point idéologique : Montand et Semprùn sont des communistes critiques qui ont perdu leurs illusions mais ont gardé leurs espérance[...]ils espèrent encore débarrasser le communisme de la perversion stalinienne. Dans cette quête impossible, Semprùn va devenir la conscience de Montand..."

Le chanteur va s'impliquer dans des films politiques, le duo deviendra trio avec Costa Gavras . Ivo & Jorge nous emmène au cinéma! 
Lien : https://netsdevoyages.car.blog
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On a tous en tête cette image de Montand dans le film L'Aveu, le visage marqué, des lunettes de soudeur sur les yeux et une corde autour du cou. A l'époque, en 1970, son interprétation avait été unanimement saluée. C'est qu'il ne s'était pas contenté de jouer le rôle d'Arthur London, cet ancien responsable communiste tchèque accusé d'espionnage au profit des Américains : il s'était littéralement senti habité par ce personnage qui le renvoyait à la manière dont il avait lui-même traversé les tragédies de son siècle et à la culpabilité qu'il en ressentait.

C'est ce que met admirablement en lumière le récit de Patrick Rotman dont les quelque trois cent soixante pages tendent vers cette catharsis qu'a constituée le film de Costa-Gavras pour Montand et pour Semprun, qui en avait pour sa part signé le scénario.

Ils n'étaient pas vraiment destinés à se rencontrer, ces deux-là. En tout cas pas à être unis par les liens d'une amitié sincère et profonde. Pourtant, entre le fils d'immigrés italiens ayant poussé dans les quartiers populaires de Marseille et l'intellectuel issu de la bourgeoisie madrilène ayant fui l'Espagne franquiste, l'entente est immédiate, qui se transformera en une durable complicité.

Patrick Rotman semble avoir pris un malin plaisir à alterner à un rythme extrêmement serré, presque étourdissant, les éléments biographiques de chacun des deux protagonistes. de leur enfance à leurs années de maturité, il juxtapose leurs expériences, jetant ainsi une lumière crue sur la dissemblance de leur personnalité et de leur parcours.

A la truculence de l'un répond la discrétion de l'autre, le premier ne songeant qu'à monter sur scène et à percer, ignorant dans une inconscience délibérée les risques pris par les résistants, quand le second engagé aux côtés des communistes est déporté à Buchenwald ; Montand entretient avec le parti communiste un rapport affectif lié à son histoire familiale alors qu'il s'agit pour Semprun d'une démarche d'ordre philosophique que son expérience des camps ne fera que raffermir.

Mais leur chemin finiront cependant par se rejoindre, dès 1952, lors des iniques procès de Prague qui jetteront notamment London en prison. Les deux hommes repoussent le doute qui commence alors à s'immiscer en eux, instillant au passage le poison du sentiment de culpabilité. Un sentiment qu'il ne leur sera plus permis d'ignorer en 1956, avec l'écrasement du peuple hongrois, puis celui du printemps de Prague, douze en plus tard.

Aussi, lorsque après le succès de Z qu'ils avaient déjà réalisé ensemble, leur ami commun Costa-Gavras leur propose d'adapter au cinéma le récit autobiographique de London, L'Aveu, ce projet prend-il une dimension particulière. L'occasion leur est enfin donnée de faire face à leurs doutes, à ce qu'ils considèrent comme leurs erreurs et à dépasser les contradictions dont ils sont la proie. Ce film apparaît alors comme l'aboutissement de deux destinées qui semblent fusionner dans un projet artistique à valeur existentielle.

Au-delà de la trajectoire de ces deux personnalités charismatiques, c'est bien l'histoire d'un siècle tourmenté qui nous est ainsi donnée à voir. Grâce à son judicieux dispositif narratif, Rotman apporte un éclairage à la fois sensible, intelligent et extrêmement pertinent sur les formes que prirent l'espoir et la ferveur suscités par le communisme et la nature du traumatisme qui en découla. Loin de toute posture morale ou dogmatique, en se tenant au plus près de ses personnages qu'il sait rendre extrêmement attachants, l'auteur nous permet de comprendre les mécanismes tant historiques que psychologiques qui purent conduire à l'un des plus grands aveuglements du siècle passé. Un très beau livre.
Lien : https://www.youtube.com/watc..
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