La fourmi
Fourmi fourmi
mini minuscule
semis de virgules
demie de demie
remue ton mil
ton brin ta pilule
menue miette nulle
fourmi fourmi
minime ténue
noire goutte acide
de prudente antenne
le soir te dilue
dans la terre avide
les herbes s’éteignent.
Les mouettes
Le poète s’est rendu au bord de la mer pour y écrire ses œuvres complètes ; mais voilà, il y a les mouettes ! Le poète parle :
« Vos gueules ! vos gueules ! les mouettes !
cessez de brailler dans l’écume
pressez moi plutôt de vos plumes
pour tremper dans de l’encre violette
Je voulais faire mes œuvres complètes
au bord de la mer, dans les brumes
tout ce que j’ai gagné c’est un rhume
et vos cris me cassent la tête
J’en ai marre de vos gueules de scie
je crache je tousse je m’essuie
le nez avec de vieux kleenex
Je deviens bête grognon et sourd
mais comme j’ai une rime en « ex »
je vais prendre le train du retour. »
Et ainsi le poète est revenu à Paris, après avoir composé le poème aux mouettes que vous venez de lire.
L’Âne entre deux seaux d’avoine
Alors j’y vas ou j’y viens
si j’y viens alors j’y vas pas
et si j’y vas alors j’y viens pas
mais si j’y viens alors j’y viens
et si j’y vas alors j’y vas
peut-être que si j’y vas et viens
où viens et vas peut-être bien
(peut-être) qu’alors ça ira
autrefois d’abord j’y allais
d’abord, et ensuite j’y venais
mais maintenant je n’ose plus
j’ai peur qu’un des seaux disparaisse
et ça me Jetté dans la détresse
alors je vas plus et je viens plus.
HÉRISSON
Il fuit dans le cresson
le buisson le hérisse
langue rose ! rose cuisse !
hérisson ! hérisson !
gourmand de calissons
de crème, de réglisse
dans la rosée il glisse
hérisson ! hérisson !
il ne craint pas le loir
qui dort dans son tiroir
il ne craint pas la lune
ni, grâce à ses piquants,
le charbon urticant
mais le poids lourd l’importune
« Hérissons ! Hérissons !
Nous périssons ! Nous périssons ! »
Le pélican de Jonathan
Le capitaine Jonathan
revenant d’Extrême-Orient
prend avec lui son pélican
pour le montrer au docteur Lacan
« Voici, dit-il, un pélican.
Il pond, voilà, un œuf tout blanc
d’où sort un autre pélican
vous l’avouerez, très ressemblant. »
« Bon, je mets ces deux pélicans
ici, l’un à côté de l’autre
je voudrais savoir maintenant
lequel des deux est le Grand Autre ? »
« Aucun, dit le docteur Lacan,
c’est Mille Francs. »
Le crocodile
Le crocodile n'a qu'une idée
il voudrait dévorer Odile
qui habite près de son domicile
elle est tendre et dodue à souhait
Le crocodile est obsédé
"Ça devrait pas être difficile"
( il emploie la méthode Coué)
Mais Odile qui n'est pas sotte
ne s'approche pas de la flotte
elle se promène sur la grève
mangeant des beignets de banane au mil
et c'est seulement dans ses rêves
que le crocodile croque Odile.
Jacques Roubaud
Les animaux de tout le monde
Le microbe
Le poème est là, mais pour le voir il faut un microscope.