Eloge de la brume
Quand le ciel bleu est d’un bleu dur
Et la montagne sèche et crue
Quand les mots sont précis et courts
Et ne disent que ce qu’ils disent
Quand le cœur fait son va et vient
Quand on ne voit que ce qu’on voit
Jusqu’à l’horizon dépouillé
Brume légère du soleil
Voile qui voile sans cacher
Qui estompe sans effacer
Brume qui donne au paysage
Au poème à la mélodie
Leur très précise indécision
Brume de Turner ou du Japon
Douceur des jeunes matins clairs
Et des longs crépuscules lents
Caresse de l’eau et de la lumière
Tu es la faille de la mer
Quand elle épouse la clarté.
- Porquerolles- Samedi 8 Juin 1991
L'instant
En un instant l'instant n'est plus que temps qui passe
et la vitre est déjà recouverte de buée
et la vie est déjà recouverte de nuit
nuit que le vent traverse
Paris
Jeudi 19 décembre 1990
10h03 en Août
Une goutte de rosée du matin
Au creux de la feuille de laurier
Hésite encore à s’évaporer
Le temps dans le matin bleu
Tremble imperceptiblement
Ce sera la fournaise tout à l’heure
L’avenir à la mi-août
Un voilier blanc sur une mer lisse
Sans la respiration du vent
Dans la montée de la chaleur
l’avenir a peu d’avenir
jusqu’à ce que le temps
quand sera revenue la fraîche
se remettre à passer lent
Le temps suspend son vol
Le jour retient son souffle
Belle lumière de la vie
Clarté du jour pas pour toujours
Les yeux ouverts te remercient
Silence plat comme le lait
La tourterelle sur le toit
Et la poule qui vient de pondre
N’ont que deux notes monotones
Et le cœur qui bat doucement
Reste immobile en mouvement
Kerdavid- Samedi 15 Août 1992
Le silence de la nuit
A l'heure où le vent tombe où le jour se suspend
lorsque les hirondelles ne sortent plus du nid
quand la chouette chevêche se prépare à chasser
quand les feuilles des arbres parlent à voix si basse
que leur chuchotement est tissé de silence
ce battement de sang ce tic-tac assourdi
est-ce ton coeur? Est-ce le mien?
Est-ce la mer qui inspire et respire
ou le souffle du temps qui passe et glisse et fuit?
Ecoute Des pas légers hésitent dans le noir
Qui vient à la rencontre? Qui se tait? Qui attend?
Est-ce toi? Est-ce moi? Est-ce nous deux ensemble?
Paris
Dimanche 26 avril,
Lundi 27 avril 1992
SOLEIL ET BRUME 1990
INSTANT ÉTONNÉ
Qui donc avait frotté l'étoile comme un sous neuf ?
Elle est tombée dans l'herbe Le chat la cherche
Le noir monte en colimaçon l'escalier de la nuit
Une pensée bleue sur la pointe des pieds
Le Haut-Bout
2 mai 1990
p.23
SOLEIL ET BRUME 1990
À WANG WEI
L'ombre légère d'un nuage errant
caresse l'herbe furtivement
Le ciel est ciel calme miroir
tissé de la clarté du jour
La vie dans le creux de la main
rire d'eau fraîche à la fontaine
Les feuilles tremblent dans le vent
Un oiseau chante légère joie
et la douleur pour un instant
oublie le temps
Le Haut-Bout
Samedi 28 avril 1990
p.21
Un visiteur
Quelqu'un est venu pendant que je dormais
est entré dans la chambre entré dans mon sommeil
m'a regardé dormir a dormi avec moi
Son souffle était mon souffle son silence le mien
Je suis sûr que quelqu'un est venu cette nuit
Je n'avais pas laissé le livre ouvert à cette page
La lampe était plus près La carafe était pleine
Quelqu'un a été là quand j'y étais à peine
Que voulait-il me dire ? Ou bien que je devine ?
Venait-il pour donner ou venait-il pour prendre ?
Il n'a pas laissé de message très clair
On dirait qu'il a cru cette nuit être moi
Et peut-être est-ce moi qui ai laissé le livre
ouvert à cette page que je croyais une autre ?
C'est peut-être ma main qui a poussé la lampe ?
Mais qui a bu cette eau ? Mais qui donc était là ?
Je ne sais plus pourquoi j'étais venu me voir
pendant l'absence-nuit De quoi voulais-je m'avertir ?
Qui m'avait chargé de me prévenir et de quoi ?
Mais quelqu'un est venu pendant que je dormais
Quelqu'un qui était moi sans l'être tout à fait
SOLEIL ET BRUME 1990
A.P.
Le murmure de l'eau qui coule
(Nul visage pour s'y rafraîchir)
Les mots d'un livre grand ouvert
(Le vent est le seul à les lire)
Quelqu'un a frappé à la porte
(Personne n'est venu ouvrir)
Dans la cheminée le feu qui s'éteint
(Aucun souffle pour l'aviver)
La brume noire des nuits sans lune
(très loin l'aboiement long d'un chien)
Le temps qui s'en va goutte à goutte
(le silence qui vient pas à pas)
Paris
Vendredi 19 avril 1990
p.18
Les hirondelles sont revenues
Les hirondelles s'en iront
Après le printemps aux pieds nus
l'automne roux l'hiver bougon
L'anguille et l'eau l'oiseau et l'air
l'enfant le temps les demoiselles
rêvent d'un rêve ombre légère
qui s'efface à tire-d'aile
Ils existent un peu parce que j'existe encore
les compagnons couchés dans le lit de la mort