Monter les deux seules filles nommées l'une contre l'autre pour un homme, dessiner un héros qui rivalise d'inutilité même en accessoire, faire de l'agresseur sexuel (tout pardonné sans transition) un sujet de blague récurrent, sortir le poncif de la sauveuse blanche, plonger tête baissée dans le piège du personnage de "la fille pas comme les autres" et mettre les deux pieds dans le plat en termes de romance avec de l'inceste qui n'en serait pas vraiment mais peut-être un peu quand-même.
Ça, c'est pour le scénario. Celui-ci échappe de peu au mythe du bon sauvage, alors même que les indigènes sont au mieux anecdotiques, au pire des sujets de blagues remâchées jusqu'à la nausée. En substance : ils sont nus et ils sont cannibales. Vous ne risquez pas de l'oublier. Tout vous rappellera aussi que vous lisez les pages d'un homme, dont on croirait d'abord qu'il n'a jamais parlé à de jeunes femmes avant de réaliser qu'il n'a plus probablement jamais parlé à des adolescents en général – quant à savoir s'il en a un jour été un, mystère. Il voit plutôt le passage à l'âge adulte comme un interrupteur, cause de relationnels lunaires.
Maintenant, pour la plume. Les paysages sont un point fort véritable, de même que cette patte voltairienne vantée par les éditeurs quand les chapitres plus politiques lui laissent la place de se développer. En dehors de ça, une mer d'huile : une platitude qui atteint le nadir de la saveur littéraire. Tout est annoncé avec tant d'avance que le roman se débat dans sa propre semoule. Des fautes d'accord, un ton qui ne se fixe pas, des métaphores et des comparaisons souvent peu judicieuses. de trop rares interactions sont vraiment développées et il faudra croire l'auteur sur parole quand il s'attèlera à convaincre son lecteur que, mais si, promis, les deux-là sont proches.
Ce ne serait pas un prix Goncourt que je jurerais tenir entre mes mains un premier roman d'un jeune auteur armé d'un dictionnaire de synonymes et bien décidé à glisser quelques vieilleries de la langue déjà éteintes dans son texte mais sans pour autant oser relever le pari jusqu'au au bout. La ponctuation anarchique dans la première partie du roman participe à cette impression.
Je ne peux toutefois pas retirer au roman son point fort : le personnage de Villegagnon et l'aspect historique en général. L'amiral porte le texte à lui seul avec une profondeur qu'on ne soupçonnerait pas après avoir suivi les deux flans héros de l'histoire au petit h – Villegagnon, lui, est
L Histoire au grand H : inexorable, habité de buts et d'ambitions tangibles, à ce point immuable que les interactions avec lui sont difficiles, lointaines ou condamnées à ne jamais être pérennes. le seul dont la caractérisation bénéficie d'un traitement particulier, d'une voix propre. Villegagnon, médaille de l'humanisme revers compris, qui sous couvert de culture classique, de scholastique et de morale écrase l'étranger autant que les moeurs d'ouverture à l'autre qui étaient de cours au Moyen-âge, incarné par le couple de héros tout nourri de romans de chevalerie.
Un texte plus décevant qu'exaspérant malgré les envies nombreuses qui m'ont saisie de le jeter par la fenêtre (dont je vous épargne le détail), car il a au moins eu un temps le mérite de créer des attentes, entachées par des ficelles trop convenues. Ce récit accuse ses 22 ans – il suffit de lire la mention du "
Tiers-Monde" sur sa quatrième de couverture pour s'en assurer.