Pour
Marie-Laure Ryan, le lecteur, avant d'ouvrir un roman, se trouve dans le monde actuel. En tournant la page de couverture du roman, il est invité à se déplacer dans un autre système de réalité dont le centre est un autre monde que le monde actuel, le monde de référence pointé par le texte de fiction. Cette opération de déplacement est nommé "recentering". Elle nécessite des talents de la part de l'auteur qui doit lutter contre le processus inverse, dit "minimal departure" qui postule que le lecteur, qui est confortablement installé sur sa chaise dans son lit, est réticent à se déplacer : il adaptera juste ce qu'il faut du monde actuel pour le rendre cohérent avec le texte de fiction.
Néanmoins, ces opérations se font car que le lecteur accepte de croire que l'histoire lui est racontée depuis ce nouveau système de réalité par le subsitut de l'auteur. le lecteur accepte alors lui aussi d'y envoyer son substitut et d'y évoluer selon les éléments de la narration. Les personnages de ce monde sont à considérer comme des entités vivantes : elles possèdent elles aussi leurs mondes (de connaissance, de souhaits, d'obligations). le narrateur peut traverser des frontières ontologiques (il change de système de réalité, cas d'une histoire enchâssée) ou illocutionnaires (un autre narrateur dans la même "histoire"). L'intrigue évolue selon les relations entre les mondes de l'univers textuel. Partant, MLR propose des schématisations et des représentations des fictions sous la forme de diagrammes, de lignes d'intrigues, d'empilement de territoires et d'univers, etc.
L'essai est très complet et assez poussé, mais il me semble toujours que cette conception de la fiction sous la forme d'un monde d'objets dans lequel le lecteur serait invité à se déplacer reste superficielle : à décomposer les textes en morceau façon structuraliste, on en oublie que le texte est produit par une entité pensante et que la richesse maximale de la fiction se trouve précisément dans ce qui échappe au structuralisme : la représentation d'une expérience existentielle. Hors, comment mettre l'existence dans des cases et des briques, sauf à prétendre avoir découvert le secret de la vie... ou se limiter à des éléments de connaissance minimalistes ? En suivant à la lettre les prescriptions de MLR sur la génération de textes, on produira peut-être des histoires, comme celles qu'on lit sur les liseuses, mais sans doute pas de littérature...