Troisième roman de cette auteure chinoise... en français !
Shan Sa , dont le pseudonyme signifie « bruissement du vent » est arrivée en France en 1990 et a connu le succès auprès du public grâce à ce roman.
Voici la joute amoureuse annoncée de deux personnages diamétralement opposés.
L'histoire se déroule dans une Chine frappée d'instabilité politique dans les années 1930 ; à cela s'ajoute une guerre contre le Japon qui tente de conquérir de nouveaux territoires. Une jeune chinoise de seize ans – dont le nom ne nous est révélé qu'à la fin -, solitaire, « étrangère » aux autres par son caractère et ses centres d'intérêt, est passionnée par le jeu de go. Il s'agit d'un jeu de stratégie d'origine chinoise qui oppose pierres noires et pierres blanches qui représentent chacune un soldat. La jeune fille se rend chaque jour place des Mille Vents pour y disputer une partie avec les passants sur un goban public. Orgueilleuse et indépendante, elle refuse la voie toute tracée des jeunes filles de son époque qui consiste à épouser l'homme choisi par les parents, voie incarnée par son ami Huong. D'autre part, sa soeur Perle de Lune qui, elle, s'est mariée par amour, subit les outrages d'un mari infidèle. C'est donc avec une certaine cruauté qu'elle repousse la demande en mariage de son cousin Lu : elle devient elle-même l'enjeu d'une partie de go tout en sachant pertinemment qu'elle va gagner la partie. Plutôt que de s'engager dans un mariage malheureux, elle préfère nouer une relation essentiellement charnelle avec un jeune homme rencontré par hasard, Min.
Parallèlement, le narrateur donne la parole à un soldat japonais envoyé en Mandchourie pour lutter contre les terroristes, c'est-à-dire les Chinois qui refusent l'occupation japonaise. Il est pénétré de l'idée que la guerre qu'il mène est juste et empli de l'idéal japonais, à savoir choisir la mort plutôt que le déshonneur. Peu à peu, des souvenirs affluent, et le jeune homme nous révèle des bribes de son passé : la naissance de sa vocation militaire, son amour pour une geisha... Et peu à peu, ses certitudes vont être ébranlées... « Il possède la noblesse des hommes qui préfèrent les méandres de l'esprit à la barbarie de la vie. »
Un jour enfin, ils vont se croiser (cela nous est révélé dans le résumé de la quatrième de couverture) et le jeu de go devient la rencontre de deux civilisations antagonistes symbolisées par les pierres noires et les pierres blanches.
Cette histoire, qui évoque, d'après la 4° de couverture, une bluette sans conséquence prend toute son ampleur dans la deuxième partie du roman, en sombrant dans la gravité. C'est justement l'irruption de la violence, de la guerre, du désespoir, qui donne au récit sa majesté et entraîne les personnages jusqu'au point de non-retour. Et c'est ce qui m'a plu.
J'ai apprécié la dimension métaphysique que prend le jeu, à la fois exutoire et bouée de sauvetage dans la vie de la jeune fille : p. 46 « le jeu de go me propulse vers un univers de mouvement. Les figures sans cesse renouvelées me font oublier la platitude du quotidien. » le jeu devient le révélateur des deux adversaires, de leur personnalité, leurs aspirations profondes, leur mode de vie. le go n'est pas un simple jeu, c'est une vision de la vie, une métaphysique, un moyen de connaître les autres et de les percer à jour. le dépaysement : le lieu, le charme poétique des noms (place des Mille Vents, Perle de Lune) permettent à la magie d'opérer. Comme dans tous les romans asiatiques ou d'inspiration asiatique que j'ai lus, j'ai retrouvé la poésie du quotidien : des mots simples et évocateurs, des images faisant appel à la nature et aux sens... Une écriture subtile et frugale en somme. Les chapitres sont très courts (trois pages maximum) et reproduisent le mécanisme d'une partie de go en donnant la parole tantôt à l'un, tantôt à l'autre des adversaires dans une concision qui donne au roman toute sa puissance. Un roman que je conseille donc pour toutes ces raisons.