Je pourrais résumer l'expérience de lecture de cette oeuvre en citant les propres mots de l'auteur: c'est « comme si tout ceci n'avait été qu'une fantasmagorie gigantesque, oeuvre d'un sorcier ironique et malfaisant. ». Car oui, finir Héros et Tombes, c'est comme sortir d'un long rêve brumeux, rempli d'hallucinations, de cauchemars, mais aussi de poésie. J'ai beaucoup aimé la plume de l'auteur qui apporte une dimension fantastique au texte par ses métaphores et analogies, bien qu'il n'y ait aucun événement surnaturel, et cela dans un phrasé simple et limpide. Ici,
Ernesto Sabato n'hésite pas à plonger dans la plus profonde caractéristique de l'homme : son irrationalité. En effet, chaque protagoniste porte en lui une facette déraisonnable, absurde, bien qu'ils soient tous très cérébraux et analytiques. Ainsi Martin brûle d'un amour obsessionnel envers la mystérieuse Alejandra, qui quant à elle essaye de combattre ses propres démons et fantômes, en tant que digne héritière d'une famille portant en elle de générations en générations les cicatrices et espoirs du peuple Argentin. Son père, un paranoïaque et un pervers narcissique (comme on pourrait dire aujourd'hui), cherche désespérément à découvrir la vérité, en démasquant ceux qui seraient les vrais dirigeants du monde... Mais la vérité existe-t-elle ? « Si je dis que ce bout de fenêtre est bleu, je dis une vérité. Mais ce n'est qu'une vérité partielle, donc un mensonge, car ce bout de fenêtre n'existe pas à lui tout seul, il est dans une maison, dans une ville, dans un paysage (…). Et si je ne dis pas tout, absolument tout, je mens. Mais dire tout est impossible, même dans le cas de cette fenêtre(...) » nous dit
Bruno, un personnage que j'ai beaucoup apprécié. Un peu comme le lecteur, il est le confident de Martin et le témoin de cette tragédie. Il observe, prend note, et réfléchit sur le but de tout ceci. Au final, c'est un témoignage sur le genre humain, ou plutôt sur « le genre Argentin » comme dirait Alejandra, que nous laisse ici Sabato. Une ultime tentative pour « représenter cette réalité incommensurable » qu'est l'humanité.