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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Dans une ville argentine indéterminée, à une époque future mais sans doute assez proche, l'employé veille à garder son boulot. Car son travail, c'est sa vie. Parce qu'il lui permet à la fois de nourrir sa famille et de lui échapper au moins le temps des horaires de bureau. D'ailleurs, que faire à part travailler dans une société où la place que l'on a est éminemment fragile et où l'on peut, du jour au lendemain, finir aux côtés des milliers de sans-domiciles qui crèvent sur les trottoirs partagés avec les chiens clonés, sous la lumière des hélicoptères qui traversent des nuages de chauve-souris pendant que les rebelles commettent des attentats à chaque coin de rue ? Tomber amoureux. L'employé ne résiste pas aux charmes de la secrétaire. Pour elle, peut-être pourrait-il oser défier le chef, peut-être deviendrait-il autre chose qu'un être lâche et servile… peut-être…

D'un pessimisme consommé, le roman de Guillermo Saccomanno pourrait être du genre à plomber votre journée – ou votre semaine – n'était son aspect profondément émouvant et même, assez souvent, poétique.
Dans cette société totalitaire que l'on perçoit toute acquise aux règles du capitalisme le plus sauvage – autant dire que pour un auteur argentin lucide, il suffit de regarder le passé récent de son pays pour voir ce qu'il aurait pu devenir, et l'actualité économique mondiale pour imaginer ce qui pourrait se passer – les velléités de rébellion de l'employé et son histoire d'amour naissante apparaissent initialement comme une lueur d'espoir. Mais, bien vite, le naturel du personnage, aggravée par le formatage quotidien hérité du management par la terreur laissent entrevoir la triste réalité : jamais l'employé ne pourra réellement se lever contre le système. Tout au plus osera-t-il se soulever contre lui-même, la seule personne à laquelle il a réellement le courage de tenir tête. Plus encore, cette révolte fugace et bien mesurée le mènera à s'abaisser encore en profitant des règles iniques de son monde pour se débarrasser aussi lâchement que possible de ceux qui pourraient éventuellement lui faire obstacle.
Le constat est amer. Incapable de s'opposer à ses enfants ou à sa femme, se contentant d'imaginer ce qu'il pourrait faire pour s'en débarrasser où, mieux encore, ce qui pourrait l'en débarrasser (« Pourquoi un de ces gosses qui mitraillent leurs camarades sur un coup de tête n'a-t-il pas encore fait éruption dans l'école de ses enfants, se demande l'employé »), l'employé se trouve plus bas encore dans l'échelle morale que le premier enfant des rues venu : « Tuer ou mourir, a entendu l'employé de l'enfant que l'on vient d'abattre. Un être courageux. En revanche, son slogan à lui c'est : se soumettre et survivre ».

Histoire d'une larve qui voudrait devenir papillon mais s'est depuis trop longtemps résolu au fait que pour survivre il fallait se contenter de continuer à ramper, L'employé est un beau roman noir, une dystopie réussie car elle évite l'écueil d'une moralisation outrancière et allie avec finesse une froideur clinique et la force d'une écriture dont la simplicité sans doute très travaillée, confère au texte une certaine aura poétique.

Lien : http://www.encoredunoir.com/..
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Cette année, les éditions Asphalte ont choisi de mettre à l'honneur Guillermo Saccomanno, un auteur argentin à la fois versé dans le monde de la bande-dessinée et dans celui du roman. Outre la traduction de 1977, que d'aucuns considèrent d'ailleurs comme son chef d'oeuvre, l'année 2020 verra la réédition de l'employé, une dystopie glaçante datant de 2010 préfacée pour l'occasion par son compatriote Rodrigo Fresan.
Une occasion parfaite pour aborder l'oeuvre exigeante et engagée de l'écrivain argentin.

Vous n'êtes pas votre job !
Tout commence par la description nocturne d'une ville qui ne sera jamais nommé mais que l'on devine aisément en Amérique du Sud.
Dans cette ville, un homme appelé l'employé contemple un ciel envahi par les hélicoptères de surveillance et les chauve-souris. Alors qu'il végète dans son open-space type cadre ordinaire du XXIème siècle, l'employé s'épanche sur son chef, son collègue et la secrétaire. Autant de figures-fonction dans un monde du travail devenu robotique et paranoïaque.
Lucide, l'employé comprend et accepte sa propre médiocrité et son esclavage, dominé par un chef bedonnant qu'il envie autant qu'il hait.
Dans un cadre sinistre et dangereux, Guillermo Saccomanno va patiemment construire une dystopie qui glace le sang et où l'employé, travailleur capitaliste lambda, affronte les peurs de son existence asphyxiante.
Avant d'en reparler, attardons-nous déjà sur cet homme au physique quelconque. En pénétrant de plus en plus profondément dans son subconscient, le lecteur prend conscience des aspirations et de la violence refrénée par l'employé, petit bureaucrate insignifiant et lâche qui rêve de meurtres et divague sur les dangers qui l'entoure. Divaguer, vraiment ?
Pas tout à fait. Bien avant d'être une dystopie tétanisante, le récit pousse les curseurs de l'entreprise moderne à fond et retranscrit le mode de pensée compétitif avec un sourire carnassier qui fait froid dans le dos. le collègue devient tour à tout un allié et un traître, surement homosexuel ou au moins terroriste. le licenciement peut tomber sur n'importe qui, à n'importe quel moment. L'avancement peut se gagner en trahissant son prochain. Tout ici n'est qu'un immense piège à loup où la répétition n'assure même pas la stabilité. Ce côté réaliste, quelque part entre Chuck Palahniuk, J.G Ballard et Kafka, parvient à distiller un sentiment de malaise plus certainement que le reste…ou presque.

Un monde post-terrorisme
Car en dehors de son bureau, l'employé visite des rues parcourues par des chiens clonés, surveillées par les projecteurs des hélicoptères, patouillées par des sections militaires, envahies par les rats et les SDF… La ville devient une chose mortelle où une bombe peut vous cueillir par surprise et où la police peut vous embarquer pour suspicion d'accointances terroristes à n'importe quel coin de rue. À mi-chemin entre Orwell et Ballard, l'univers de l'argentin lorgne vers les dictatures sud-américaines à peu près autant que vers le capitalisme cannibale de Wall Street. Si vous réussissez par sortir vivant du métro, il faudra ensuite retrouver votre petite famille et la nourrir comme il faut, ne pas attiser le soupçon des voisins…et repartir au boulot le lendemain affronter un destin peut-être funeste. l'employé pourrait alors trouver le salut dans cette famille qu'il retrouve le soir…

Le mensonge d'aimer
Mais lorsqu'il rentre chez lui, l'employé doit contenir la nausée qui le saisit devant cette chose obèse et vindicative qu'il a jadis épousé. Dans un cauchemar tout droit sorti d'un film de Cronenberg, il doit gérer une ménagerie de gamins tout aussi obèses et violents qui le dégoûte…sauf Petit Vieux, le dernier de la portée, sorte de double du père médiocre et incapable qu'il est. Alors l'employé rêve. Il rêve de gazer tout ce petit monde et de tous les tuer comme un Patrick Bateman du pauvre. Dans l'univers de Saccomanno, la famille devient un traquenard, une impasse où l'homme, castré et prostré, doit gentiment subir encore et encore. L'homme moderne devient un insecte, une larve, tout juste bonne à ramener de l'argent et à baiser madame de temps à autre. Dès lors, l'amour apparaît à l'employé comme le dernier échappatoire possible, l'ultime refuge.
Avec la secrétaire qu'il imagine de mille façons, parfois hideuse parfois romantique en diable. Mais l'amour n'existe pas plus en réalité. Il s'agit tout au plus d'une illusion éphémère, une histoire de cul médiocre pour un homme médiocre. C'est au cours d'une scène de masturbation que l'employé comprend peut-être le mieux l'étendue de son malheur, allongé là à côté de la secrétaire, les deux se masturbant de concert et finissant par pleurer après l'orgasme, comme conscient de l'horreur absolue de cette chimère pour bureaucrate en plein naufrage. Par les yeux de l'employé, on constate que la femme n'a pas beaucoup plus de succès de son côté, condamnée à l'objetisation ou au rôle de mère-oie disgracieuse et répugnante après plusieurs accouchements successifs..

Destruction de l'équilibre mental
Dans cet univers, Guillermo Saccomanno brosse petit à petit la lente spirale qui amène notre employé de plus en plus loin dans la paranoïa. Dans un monde déjà lui-même paranoïaque où le paramètre humain ne semble plus qu'un lointain souvenir, où l'on préfère longer les murs et détourner le regard, où l'on préfère crever en silence plutôt qu'en se révoltant.
Mais la révolte, dans un monde aussi sécuritaire et autoritaire, est-elle encore possible ou finira-t-elle dans un bain de sang insensé ? Plus on avance dans ce court roman et plus les barrières mentales tombent, l'employé se dédoublant face à l'ambivalence de ses sentiments : face à face, l'esprit rebelle qui veut en finir et le cadre anesthésié qui n'ose plus rien.
L'autre devient l'ennemi…mais quand l'autre c'est soi, que faire ?

Dystopie d'autant plus terrifiante qu'elle dépeint avec une efficacité redoutable le monde du travail moderne, l'employé marque la fin de l'homme en tant qu'être humain pour le transformer en bombe à retardement dans un univers gris, tétanisant et dégradant.
Lien : https://justaword.fr/lemploy..
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Brouillard dans la nuit, le froid qui perce le sommeil, « l'employé » est un récit sombre, poignant, lucide. L'incipit commence sa ronde. Surveille l'employé ne le lâche pas des yeux un seul instant. « A cette heure de la nuit, les hélicoptères blindés survolent la ville, les chauves-souris tournoient devant les vitres de l'immeuble et les rats filent entre les bureaux plongés dans l'obscurité, tous les bureaux sauf un, le sien, l'ordinateur allumé, le seul à cette heure. » Guillermo Saccomanno délivre l'histoire d'un employé minute après minute dans une ambiance opaque, oppressante, dans une ville d'Argentine où les attentats multiples, les chiens enragés, les naufragés des rues sont images tenaces et tristes. Dans l'instant même où s'élèvent les noctambules crissements d'heures laborieuses, soupape de sécurité, conformisme et exactitude. Travailler pour résister aux affres intestines. Cet anti-héros quasi semblable à celui de « Mes amis » de Bove, ployé sous l'opératif, broyé dans sa vie de par une femme atroce, vulgaire et méprisante et le bancal d'un foyer où s'agrippent des enfants bousculés par le manque de tout. Il reste à son poste, seul, le soir, dans le creux de la nuit, cherchant cette part de laine pour couvrir ses épaules alourdies, lasses, et fuyantes. Un éveillé en pleine déroute sentimentale et existentialiste. le travail affine sa lame. l'employé entend du bruit. Il n'est donc pas seul dans cette torpeur glacée, angoissante et infinie. La secrétaire est là. Que fait elle, ici, serait - elle son double ? Eh bien non. Cette dernière est la maîtresse du patron, du chef, de celui qui conçoit l'idiosyncrasie de cet espace, au tempo réglé comme une pointeuse. Diktats sociétaux, abus de pouvoir, elle est l'appât d'un homme puissant verres brisés que l'on projette sur les murs stériles des bureaux où s'épuisent les petites mains, les êtres effondrés aux pertes de repaires multiples. le travail est une armure. l'employé va se heurter contre les murs qui enserrent. Croire en sa chance. Espérer la vie, tout simplement, penser à la secrétaire, imaginer un amour, feindre de respirer enfin. La normalité est un écueil. l'employé est l'albatros aux ailes brisées. L'Argentine rassemble ses disparités, son habitus dans cet espace monde on l'on frôle des yeux l'anticipation, la sociologie urbaine dans son apogée. Ce récit est bleu-nuit. Les chiens aboient le lugubre de ce temps où la perte d'un travail est synonyme de mort. Dans cette urbanité à la limite d'une science-fiction étrangère à nos sens. Cette histoire contée d'une voix douce, celle de l'auteur, apaise le brûlant de l'asphalte dans un réalisme fou. Sombre et belle car plausible cette réussite littéraire est une palme. l'employé est la dernière feuille sur l'arbre d'un non-retour, tremblante et frigorifiée. Ce récit noir, « L' Employé » est un langage citadin, un appel au secours pour les solitaires et abreuvés de labeurs infinis. Une conviction littéraire hors norme. Un appel au bout de la nuit, être soi, toujours. Même si. Traduit à la perfection de l'espagnol (Argentine) par Michèle Guillemont. Publié par les majeures Editions Asphalte.
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