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Critique de VincentGloeckler


Il ne faut « pas pleurer », mais si « tout homme est une nuit », on peut, on doit « marcher jusqu'au soir », et puis « rêver debout »… On ne peut s'empêcher, en associant ainsi dans une seule longue phrase les quatre titres des derniers livres parus (le dernier en août 2021 au Seuil) de Lydie Salvayre, d'y repérer comme l'expression d'un cheminement têtu (débuté bien avant d'ailleurs, si face à « la vie commune », et pour exalter le « vif du vivant », l'auteure écrit, depuis longtemps, « contre »), d'une volonté de présenter la vie et la littérature, si l'on veut qu'elles vaillent la peine, comme oeuvres de résistance, élans courageux contre toutes les violences que la réalité nous oppose. Rien d'étonnant, dès lors, que l'on retrouve, au tournant de quelques pages de « Rêver debout », la mère républicaine et sa pugnace bravoure de « Pas pleurer », l'étranger inquiétant et mal accueilli, qui traverse le second livre, le fantôme de « l'homme qui marche » de Giacometti, cette sculpture avec laquelle l'écrivaine dialoguait dans la nuit du musée Picasso, cette haute figure symbolique de l'effort humain pour avancer en dépit des contraintes et des oppressions. « Rêver debout » est annoncé comme un « roman », mais s'il doit entrer dans le genre, c'est au titre de roman épistolaire, le texte se construisant autour d'une série de lettres que la narratrice/auteure adresse, au fil d'une relecture du mythique « Don Quichotte », à Cervantès. Il s'agit, d'abord, de lui faire part de son courroux contre la manière dont il ridiculise et laisse maltraiter constamment son illustre personnage tout au long de ses aventures, le sadisme avec lequel il le transforme en victime permanente des insultes et des coups d'autrui. Il s'agit surtout de rendre hommage à tout ce qui dans les propos et les gestes du héros, sans cesse bousculé et rudoyé dans le cours de l'histoire, montre sa bonté, sa générosité, toute son attention aux pauvres et aux bannis, son féminisme, sa mise en question régulière des pouvoirs politiques et religieux, du poids des institutions de l'époque, son goût prononcé, enfin, pour les chemins de traverse, l'utopie, l'importance de privilégier parfois le rêve face à la réalité, la poésie contre le prosaïsme aride du quotidien. Il faut défendre Quichotte, oui, le libre-penseur et « l'anar », nous dit Lydie Salvayre, il faut défendre aussi, d'ailleurs, le couple paradoxal qu'il forme avec son serviteur (et finalement ami) Sancho, les deux formant ensemble le miroir de notre humaine condition. Et finalement, l'auteure feint de découvrir que Cervantès n'a transformé son Quichotte en souffre-douleur que pour mieux lui faire tenir son rôle de porte-parole d'une sagesse critique, difficilement exprimable sans le masque de la fiction face aux autorités du temps, … et, bien sûr, se déclarant « fan » du démiurge et de sa créature, de l'en féliciter, en soulignant toute l'actualité de l'oeuvre et de son protagoniste. Ah, quel bonheur, encore une fois, ce nouveau Salvayre, où l'on retrouve le panache de l'éternelle rebelle, la saveur de cette langue acide autant qu'allègre, un regard politique lucide, nourri d'une joie toute spinoziste, un appel enthousiaste à ne pas se résigner à l'état des choses, au pire qui attend nos sociétés et notre planète, si nous ne faisons rien ! Alors, demain, tous des Quichottes ? Laissons Lydie Salvayre nous le suggérer, de si belle et engageante manière !
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