J'ai toujours aimé le style de
Georges Sand. Quelque chose d'à la fois simple et raffiné, une sorte de richesse et d'abondance aux abords pourtant souples et faciles d'accès. J'aime cette façon d'éclat presque modeste, cette éloquence poétique et pittoresque, des joliesses de femme, ce charme typiquement féminin qu'elle glisse dans ses phrases. N'importe qu'elle se fasse appeler Georges ou qu'elle s'habille en homme : elle a le style d'une femme, mais d'une femme artiste. Et je retrouve chez Colette, même si elle a écrit dans un tout autre registre, les mêmes caractéristiques typiquement féminins (rien de péjoratif là-dedans, un simple constat) : un style plus maniéré un peu, un raffinement qui me fait songer à une tenue soignée, à une robe drapée, à des joues poudrées et à des bijoux un peu délicats et précieux. Style typique, reconnaissable, un peu maniéré mais pas à la façon masculine d'un
Chateaubriand par exemple. Non, quelque chose de plus « naturel », comme si la féminité s'exprimait dans l'écriture, peut-être même malgré elles. Alors, évidemment, c'est sans doute moins viril, moins incisif et moins percutant qu'un style très mâle, mais c'est propre et élégant, joli à lire, agréable et fluide. Cela me fait l'effet de regarder une femme belle et très soignée : j'observe avec curiosité et plaisir le bon goût, la délicatesse des traits, le raffinement ostensible.
Pas de récit de gens de campagne cette fois, bien que l'action se déroule en province comme habituellement, mais un roman fantastique. Un tout jeune avocat, Just Nivières, âgé de seulement vingt-deux ans, est envoyé par son père, avocat lui aussi, chez la comtesse d'Ionis, femme superbe au demeurant mais malheureusement mariée au comte. le jeune fils de bourgeois a pour mission, a priori simple, de faire plier la comtesse et pour une singulière raison : elle souhaite perdre son procès, déjà gagné d'avance, pour d'obscures raisons. La comtesse, qui désapprouve fort la conduite de son époux, toujours absent et accablé de vices et de dettes, refuse que celui-ci gagne un procès qui déshonorerait une branche éloignée de sa famille. Est-ce une raison suffisante ? Sans doute pas : elle est motivée par une passion secrète pour un cousin éloigné, voilà. Elle n'a que faire de l'argent de ses cousins tandis qu'elle les sait en difficulté. Elle est prête à renoncer à sa propre fortune pour ne point embarrasser une famille dont elle est parente … et accessoirement amante.
Plein de confiance et ignorant cette liaison secrète, l'avocat se sent capable de faire changer d'avis la belle comtesse, de lui faire entendre raison et de la convaincre qu'elle a grand besoin de l'argent que rapporterait le fait de gagner ce procès. Naïveté de jeunesse, orgueil de celui qui, ignorant tout des affres de l'amour, part en vainqueur.
À son arrivée au château, le jeune Just est reçu par la douairière et une Servante, la jeune comtesse étant absente. Il passe une étrange nuit, entrecoupée de rêves et de visions angoissantes. C'est que cette demeure est hantée par deux jouvencelles empoisonnée par l'eau du puit voici des décennies.
Just, après une nuit troublée par les apparitions dans sa chambre des fantômes des deux demoiselles voilées, rencontre la comtesse et s'en entiche immédiatement. La noblesse de coeur de la jeune femme, son incroyable beauté et cette façon de renoncement l'émeuvent infiniment. Seulement, le coeur d'un jeune bourgeois provincial et studieux qui n'a jamais rien vécu ne peut rester fidèle bien longtemps : c'est le fantôme de la jeune vierge morte, celui qui hante ses nuits, qui prendra son coeur finalement, ce qui le rendra affreusement fiévreux et souffrant durant plusieurs jours. le voilà tout à fait amoureux d'un fantôme, promis à une femme morte auprès de laquelle il s'est solennellement engagé. Et à ce stade on ignore encore s'il s'agit d'un songe, d'un délire de fièvre ou d'un récit fantastique.
La suite et fin sont improbables au point que l'on pourrait s'indigner d'invraisemblances aussi éhontées. le jeune Just, remis mais hanté par le souvenir du magnifique spectre féminin, rentre chez lui. La comtesse devient soudainement veuve et épouse le cousin. Et Just apprend qu'il n'y a jamais eu de fantôme : il s'agissait de la soeur du cousin, amoureuse de lui mais timide et résolue au couvent car sans dot (oui, compliqué et alambiqué). N'importe qu'elle soit fantôme ou de chair, sa naïve jeunesse fait qu'il l'aime même réelle, de sorte qu'il honore son engagement. Les deux couples se forment sans troubles ni moraux ni financiers.
Arg ! Chute bateau et consternante d'une intrigue un peu légère. Dommage : si les premiers chapitres, mêlant réalisme et fantastique, étaient prometteurs et extrêmement troublants, la fin est plus que décevante.
N'importe, si le fond pêche, la forme reste très bonne, le style est fort agréable, exquis à la façon d'une friandise.