Préface de Josane Duranteau
Il faut savoir qu'Albertine Sarrazin tenait depuis l'enfance un journal intime ( nous avons d'ailleurs donné des extraits du cahier de ses quatorze ans),- journal souvent interrompu par l'irruption de l'Aventure, par l'urgence de fuir encore plus loin, mais entreprise toujours reprise, l'impérieuse nécessité d'"Être" exigeant de l'écrivain que le fil soit renoué de cette continuité de soi à soi-même.
Ce sera un émerveillement, pour le lecteur posthume admis à pénétrer dans ce monde secret, que d'y découvrir ce qu'était Albertine Sarrazin seule devant elle-même. Pas de tricherie, pas de coquetterie, pas de complaisance, pas non plus, le moindre débraillé. Mais la nudité impeccable du coeur.(...)
Oui, ce haut chant de solitude et d'amour atteint d'emblée l'universel.
( éditions Sarrazin, 1972)
Je suis chez moi partout, tant qu'on ne me traite pas en invitée.
Rien ne m'attache à rien, et j'aime rester ta petite tombée de l'enfer, puisque ce vol d'un instant a cassé pour jamais et sans douleur les derniers fils de mon passé. Refondre mon être aux forges de notre entente. Et pourtant, me garder totalement. T'apprendre des jeux que tu ignores encore ; t'inculquer définitivement cette fois, ce goût et cet émerveillement en l'unité, que je ne connaissais pas non plus, mais qui m'a élue maître sans apprentissage : instinct, révélation et cristallisation impérieuse ; sans l'éclair; lumière filtrante, revendicatrice comme l'aube.
Pourquoi regardais-je ces autres ? Ces mondes inaccessibles ? Ma vie est à moi, mais je n'ai qu'elle... pas le temps de l'encombrer avec sentiments non efficaces.
Autre idée rageuse : garder MON temps. Travailler plus vite pour gagner un loisir où je travaille encore. Impossible de flâner sans arrière-pensée, si pas libre. Standing... J'aime couper moi-même ma tranche de gâteau, car moi seule connais mon appétit.
C'est lorsqu'on a introspecté toutes ses possibilités qu'on se définit sans arbitraire, me semble-t-il. Celui qui a goûté à beaucoup de choses peut goûter à quelque chose. Sans regret, car il ne supportera que quelque chose où tout se trouve impliqué. Et quelque chose toujours virtuellement jaillissant ; car, à celui qui a eu soif, il faut inépuisable fontaine. Même s'il ne veut plus que l'entendre couler...
L'oeil expert... Expert en choses merveilleuses, ou expert en choses pitoyables ? M'en fous. D'ailleurs, la putain qui se marie est plus jolie que la mondaine, qui compte les marches de la garçonnière. Et on ne peut jamais, jamais, juger ou étiqueter les autres. C'est pourquoi j'en parle si peu. Seul mon cas peut être prétexte à mes erreurs, mes observations et mes expériences. Ailleurs, si je le fais, c'est dans droit aucun. Et sans clairvoyance.
Entre ces quatre murs, libre à moi de m'y casser le front ou d'y graver des poèmes.
- On baptise souvent volonté l'entêtement, et patience l'inertie.
Vivons des virages, des carambolages et des paysages...