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Critique de Chri


Je ne suis pas ce que je suis, et je suis ce que je ne suis pas ;
J'ai à être,
mais non pas être en-soi contingent ;
Tout indique qu'il y a un effort, mais toujours vain,
pour se fonder soi-même, être en-soi nécessaire, cause de soi ;
En un mot, il y a un désir d'être Dieu ;
Alors que réellement, je suis condamné à être libre,
de toutes les manières...

Il me faudra plusieurs mois,
pour ralentir toute activité cérébrale,
et étirer cette lecture,
devenue méditation ;
Pour le moment, je ne peux que tenter d'écrire un commentaire à tâtons,
avec en toile de fond, cet ouvrage très haut perché...

L'appel d'être, ou conscience,
comme un appel d'air,
dans un phénomène météorologique instable,
fait apparaître comme une seule et même “totalité detotalisée”,
le manque et l'ek-stase ;
Comme la dépression et le zef ;
Le malaise d'être là pour rien ou l'angoisse existentielle,
et la liberté ou néantisation de la facticité...

Il ne s'agit pourtant pas de se laisser aller,
à la magie des images ;
Car l'ouvrage a d'abord l'ambition d'élucider,
les rapports entre l'être en-soi des phénomènes,
et le phénomène d'être,
ou appel d'être,
(dont le sens est d'être pour-soi) ;
D'où le sous-titre « essai d'ontologie phénoménologique »...

Tout se noue dans une introduction à couper le souffle,
qui tend ensuite à se dénouer,
heureusement avec l'aide d'illustrations ;
Jusqu'au bout, cet ouvrage tient en haleine,
si toutefois on n'a pas été terrassé par le mal de l'altitude ;
Au-delà, en effet, des intermédiaires techniques,
il y a la tendresse...

Aussi, pour l'accoutumance,
on peut lire Husserl au préalable ;
On reverra en effet cette citation :
“Toute conscience est conscience de quelque chose" ;
Et de Sartre, je conseille « la transcendance de l'égo » ;
Face au pour-soi, cet égo est en effet dans le mode de l'en-soi ;
Il est considéré ici comme “opaque et inutile”,
sauf à le comprendre comme l'esquisse d'un “dehors”,
repris et réalisé par l'être-pour-autrui...

Libres, nous le sommes,
avec “l'insoutenable légèreté de l'être”,
dans un monde pour soi et pour autrui ;
Ou bien même englué avec un “esprit de sérieux”,
dans un monde qui n'est que ce qu'il est ;
Libres encore, nous le sommes,
En prétendant être ce qu'on est,
En invoquant l'inconscient ou la magie.
En étant de mauvaise foi...

“Nous ne pouvons rien être sans jouer à l'être”. nous dit Sartre.
Tel ce garçon de café zélé qui parait jouer à l'être ;
Et cette femme, lors d'un premier rendez-vous galant, qui paraît s'abandonner au jeu de la séduction.
Et sans doute Sartre jouera à être certains personnages de ses romans...

Le jeu consiste à être en question pour soi-même ;
Seulement, avant toute “scissiparité réflexive”,
il n'y a qu'un jeu du “reflet-reflétant” ;
une “dyade fantôme” évanescente,
une conscience (de) soi non-thétique,
qui ne pose pas de rapport de connaissance,
(c'est le cogito préréflexif)...

Être pour-soi renvoie à être pour-autrui ;
Entre facticité et liberté, c'est toujours être vivant ;
Il n'y a d'ailleurs pas, ici, d'invocation d'une quelconque exceptionnalité humaine ;
Si, en effet, les situations étudiées illustrent la réalité-humaine,
elles le sont toujours assez crûment et radicalement ;
Ce qui, pour l'éthologie,
signifie la possibilité d'observer l'angoisse, la mauvaise foi,
dans tout le règne animal...

A ce stade, il doit être aussi possible de trouver une méthode,
pour comprendre en situation,
dans les goûts, ou chaque détail de la vie quotidienne,
dans les rapports aux autres,
le projet originel, qui fait de moi ou autrui, une personne ;
Le “circuit de l'ipséité” n'est pas une identité,
mais ce rapport du pour-soi avec le possible qu'il est ;
Il s'agirait en somme d'un tournant existentiel de la psychanalyse...

Une question me brûle les lèvres :
Comment comprendre l'acte d'une personne qui jette par terre ses mégots de cigarettes ou autres déchets ?
Elle me voit sans me voir...
Et d'où vient mon malaise devant la gratuité de ces actes ?...

Une réponse est proscrite :
celle qui invoque l'habitude ou tout principe d'inertie ;
Or, comprendre un projet originel,
à moins de s'intéresser au moment où il y a mutation de ce projet,
c'est encore découvrir de l'inertie...

Publié sous l'occupation allemande en 1943,
L'ouvrage rapporte des situations brûlantes,
Où la liberté apparaît plus crue :
celle des résistants,
et celle de l'immense majorité des soldats des deux camps,
sans qui aucune guerre n'aurait lieu,
Mais qui pourtant ne font pas le choix de déserter...

Le projet originel qui devrait apparaître à l'analyse est une description morale ;
Ce livre peut donc chuchoter à chacun sa propre esquisse d'une éthique ;
Mais les descriptions ne sont pas des prescriptions ;
Il ne s'agit donc pas ici de fondre un nouveau canon de lois morales...

Il ne s'agit pas de stoïcisme, ni d'une sorte de volontarisme :
un acte volontaire n'est pas plus libre qu'un acte passionnel ;
Cette conception de la liberté n'implique pas de dompter ses passions,
comme on dompte la nature,
en pensant à cette vieille formule assez toxique aujourd'hui : “on ne commande à la nature qu'en lui obéissant”...

Avec cet ouvrage, Sartre fait exister, sous l'occupation,
une conception radicale de la liberté,
qui apparaîtra plus tard au coeur du mouvement existentialiste...

Si tout paraît relatif, on peut le comprendre comme la liberté en situation ;
En revanche « l'apodicticité de la réflexion », qui ne devrait pas faire de doute,
entraîne apparemment des bizarreries ontologiques :
Le pour-soi est néantisation de l'en-soi : « je ne suis pas ce que je suis, etc.. » ;
Le pour-soi est fondement de son propre néant ;
Nécessaire, il l'est donc en tant qu'il se fonde lui-même ;
Et c'est pourquoi il est l'objet réfléchi d'une intuition apodictique :
« je ne peux pas douter que je sois. »...

La psychanalyse existentielle s'oppose au freudisme sur le fond,
puisqu'il n'y a pas ici d'inconscient ;
mais elle le rejoint sur l'apodicticité de l'analyse,
et le privilège de l'analyste, qui est aussi celui du phénoménologue :
D'un côté il y a l'attitude résolue d'une quête de l'irréductible complexe,
qui est ici le projet ou choix originel d'une personne ;
D'un autre côté, les situations sont abordées latéralement,
dans le silence des mots,
ou de l'observation d'une personne, à distance...

Clairement, ce n'est pas la discipline psychanalytique,
décidément froide et élitiste,
qui m'a intéressé dans cet ouvrage ;
mais plutôt son remue-ménage à la portée de chacun,
et à partager entre amis...

Au fond, dans l'idée de choix originel,
il y a la possibilité de mutations existentielles,
comme des nouveaux choix au cours d'une vie,
dans l'enfance, ou marqué par la guerre,
par la pandémie ou autre événement contemporain ;
Comme il y a d'ailleurs aujourd'hui l'épi-génétique,
on pourrait songer à une épi-phénoménologie,
pour élucider voire participer à ces mutations...

J'ai tenté, enfin, de restituer à travers ce commentaire,
les germes d'une écologie profonde,
c'est-à-dire d'une manière de penser qui n'exige pas d'être d'abord exceptionnel.
(un humanisme sans le isme, si on veut)

A noter sur France Culture, une excellente série de podcasts,
consacrée à L'Être et le Néant,
avec Adèle van Reeth et ses invités ;
Pour philosopher sur l'être pour-autrui,
voici le lien vers le quatrième et dernier numéro :
« Existe-t-on pour autrui ? »
Je terminerai par ces pages sur la caresse des corps,
à la minute 45:00.

https://www.franceculture.fr/emissions/les-chemins-de-la-philosophie/sartre-letre-et-le-neant-44-existe-t-pour-autrui
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