Citations sur Du sang sur Rome (23)
- N’est-ce pas le lot des esclaves ?
Il n’y avait aucune amertume dans sa voix, seulement une note de mélancolie, que j’avais déjà rencontrée maintes fois. Le jeune Tiron était l’un de ces esclaves, naturellement intelligents et éduqués dans la bonne société, qui connaissent la malédiction de la Fortune, laquelle asservit un être humain toute sa vie et fait de l’autre un roi.
- Tiron, tu es un parangon de vertu. Tu es une rose parmi les épines. Une baie savoureuse parmi les ronces.
Fais le calcul : Sylla, vainqueur des rebelles italiens, paie ses soldats en terres. Mais pour acquérir ces terres, il faut en déloger les vaincus. Que deviennent-ils, sinon des mendiants ou des esclaves de Rome ? Et tout ça pour quoi ? Le pays est dévasté par la guerre. Les soldats ne connaissent rien au travail de la ferme ; au bout d'un mois, d'une année, ils vendent et retrouvent le chemin de la ville. La province tombe aux mains des grands propriétaires fonciers. Les petits fermiers luttent contre la concurrence, se font gruger et exproprier. C'est de nouveau l'exode. Je le vois se creuser de plus en plus, le fossé entre les pauvres et les riches. Rome est comme une femme d'une beauté fabuleuse, drapée d'or et couverte de bijoux, grosse d'un fœtus nommé Empire. Elle est infestée de vermine de la tête au pieds.
J'observai Tiron du coin de l'œil. Il marchait les yeux rivés au sol, sans me voir, mais je devinai l'intensité de son regard. En voilà un qui savait écouter. Quel excellent élève il aurait fait, n'était sa condition d'esclave ! Et peut-être, dans une autre vie. serait-il devenu un excellent pédagogue pour notre jeunesse !
La nature du temps change quand le monde dort. Les instants se figent ou se dissolvent, comme des grumeaux dans le fromage blanc. Le temps devient incertain, inégal, élusif. Pour l'insomniaque, la nuit dure éternellement, ou passe à toute allure. Je restai allongé longuement, à regarder les ombres au plafond. Incapable de dormir, incapable de suivre les pensées qui voletaient dans ma tête, en attendant le chant du coq. Cela dura si longtemps que je finis par me demander si l'oiseau ne s'était pas rendormi. Enfin son cocorico s'éleva, clair et perçant dans le silence.
Je me redressai, effaré de constater que j'avais bel et bien dormi. Un bref instant, je crus avoir rêvé le chant du coq. Mais il recommença de plus belle.
- Je suppose que je dois quelque chose pour le vin. (Gordianus)
- Ne t'inquiète pas. J'ai réglé. Comme le tavernier dormait, j'ai laissé l'argent sur le comptoir.
- Et tu n'as pas manqué de le réveiller en partant, qu'aucun voleur ne le lui prenne ?
- Cela va sans dire.
- Tiron, tu es un parangon de vertu. Tu es une rose parmi les épines. Une baie savoureuse au milieu des ronces.
- Je ne suis que le miroir de mon maître, fit-il avec plus de fierté que d'humilité.
- La justice romaine, continuai-je sombrement, c'est la justice de ceux qui ne peuvent pas se payer d'avocat, qui ne savent même pas ce que c'est. Ou qui s'en méfient, et trouvent les tribunaux pourris.
incipit :
L'esclave qui était venu me trouver, en ce matin de printemps où il faisait particulièrement chaud, était un jeune homme d'à peine vingt ans.
Habituellement, lorsqu'un client me fait demander, le messager est un esclave de la plus basse extraction - un rustaud, un estropié, un garçon d'écurie stupide qui pue le crottin et qui éternue à cause des brins de paille fichés dans ses cheveux.
- Tu es un jeune homme intelligent, Marcus Tullius Ciceron, et, au dire de tous, un brillant orateur. Ton audace est ridicule ou ton ambition démesurée, ou peut-être les deux à la fois.
Les esclaves apprennent très tôt à feindre la surdité ou la distraction quand cela les arrange.